AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Lenocherdeslivres


Will est heureux. Ou, en tout cas, ne se demande pas s'il ne l'est pas. Il sillonne les États-Unis à bord de son camping-car l'Étoile du Berger, customisé selon ses goûts, où il conserve tous ses souvenirs. Il est accompagné de son chien Flip, un pitbull qu'il a sauvé plus jeune et qui lui est fidèle. Il a un boulot qui n'est peut-être pas reluisant, mais lui permet de vivre et l'occupe. Sa vie est bien organisée et se déroule sans réel accroc. Jusqu'au moment où le téléphone sonne. Et là, tout dérape.

Forcément, quand l'auteur nous met d'emblée dans la tête d'un personnage qui dit « je », on a tendance à prendre son parti, à le trouver sympathique et à lui pardonner ses quelques défauts. Mais dans ce roman, Dan Chaon ne nous fait pas un cadeau. Car Will, on le découvre très rapidement, n'est pas un enfant de choeur. Son emploi est tout sauf bienveillant : le « care », très peu pour lui. En fait, il exécute les missions que lui confie son employeur, la Value Standard Enterprises, quelle qu'en soit la nature. Cela consiste essentiellement en des convoyages. D'objets, mais aussi d'êtres humains. Et ces derniers ne sont pas nécessairement consentants. Il suffit de voir comment Liandro, son passager dans les chapitres d'ouverture, réagit à son voyage. Et on comprend peu à peu que Will n'a pas d'état d'âme quant à son job. Sauf peut-être quand il a dû transporter un bébé. Et encore. Cela jette un certain doute sur la confiance qu'on peut lui accorder. Or, toute l'histoire passe par ses yeux, son esprit. Nous sommes liés à Will, pour le meilleur et pour le pire. Mais cela n'est pas désagréable, car cet homme est facile à suivre, facile à vivre. Et c'est ce qui surprend. Tout coule, même dans les problèmes.

Peut-être est-ce une conséquence des drogues que Will ingère tout au long de la journée. Pas en grandes quantités, mais de façon continue. Pour tenir sur la route. Car il roule, Will, il roule beaucoup : « Il est aussi dangereux d'être trop éveillé que trop fatigué être légèrement hors de son corps, comme si on se suivait et qu'on surveillait de près ce qui se passe. » Un peu comme nous, lecteurices, qui suivons Will à travers ses déplacements.

Comme je l'ai lu voilà seulement quelques petits mois, cela m'a fait penser à la joie que j'avais ressentie à la lecture des passages de voyage dans L'affaire Crystal Singer d'Ethan Chatagnier. Les déplacements y ont cette même tonalité, ont créé chez moi la même envie de prendre la route et de traverser ces vastes espaces. Alors que je déteste les longs voyages. Ils sont forts, ces auteurs. Et surtout Dan Chaon qui envoie son Will à travers tout le pays. Il faudrait d'ailleurs relire le roman avec une carte pour découvrir la distance énorme parcourue. Les milles s'enchainent dans des paysages variés, attirants pour le personnage malgré leur vétusté. Car Will n'aime pas les hôtels de luxe, les restaurants huppés. le vieux diner un peu crasseux a ses préférences. Comme le motel posté le long des routes où l'on peut se garer devant sa chambre. Et les descriptions de ces États-Unis de l'avenir sont dans ce même ordre d'idée. Tout semble partir en miettes. C'est par le décor que la SF prend ses aises dans ce récit. Pas de façon pesante et intrusive. Non, plutôt par petites touches par-ci par-là. Là, des robots publicitaires qui longent les routes et brandissent des panneaux, publicitaires ou revendicatifs. Ici, des tempêtes « de papillons » qui s'écrasent sur les parebrises et sur les routes, les rendant quasi impraticables. Ailleurs des « terroristes canadiens » qui font exploser des bombes IEM sur une portion du territoire et paralysent une partie de la circulation. Dans certaines villes, des couvre-feux difficiles à faire respecter tant l'armée manque de bras. Partout, des caméras qui photographient, filment, archivent la présence, les actions de tout le monde. Et les conservent dans des bases de données. Un avenir inquiétant, vraiment.

C'est dans ce pays en voie de décomposition que Will menait sa petite vie tranquille jusqu'à ce qu'un de ses téléphones normalement intraçables sonne. À l'autre bout du fil, une jeune femme qui prétend être sa fille. le grain de sable qui fait dérailler la mécanique bien huilée qui guidait les pas du personnage principal. le roman est une quête. Celle d'un possible père bien involontaire (on parle ici de don de sperme) pour une paternité ni désirée, ni imaginée. Mais qui s'installe dans son esprit et y prend une place de plus en plus considérable. D'ailleurs, on comprend pourquoi grâce aux nombreux retours en arrière qui évoquent la figure de la mère, très originale, mais vraiment pas agréable. le thème de la parentalité est très fortement traité dans ces pages.

Malgré toutes les alarmes qui clignotent dans l'esprit de Will, l'attrait est trop fort. Même si cela doit conduire à un vaste chaos. Jusqu'à une fin qu'on sait dès le début violente et douloureuse. Sanglante et définitive. Certains lecteurs ont trouvé les deux parties disproportionnées : une longue errance jusqu'à la vérité et une conclusion trop rapide. Je ne suis pas d'accord. Je ne pense pas nécessaire de s'appesantir sur le dénouement. C'est la recherche qui compte. C'est le cheminement. Et il est passionnant, sans temps mort.

Une fois de plus, merci à Gilles Dumay qui, sans le savoir, m'a donné envie de découvrir Somnambule. Je ne regrette aucune des pages lues et dévorées dans le même état que Will : porté par l'écriture et le récit, je suis allé au bout de ce roman pratiquement d'une traite. J'ai fait la route avec lui, à bord de l'Étoile du Berger, à côté de Flip, au milieu des décombres d'un pays en pleine déliquescence. Et je ne peux que vous conseiller de faire de même.
Lien : https://lenocherdeslivres.wo..
Commenter  J’apprécie          428



Ont apprécié cette critique (41)voir plus




{* *}