GERARD RAMBO AU PAYS DES VIVANTS (PRESQUE) MORTS...
À tout seigneur (saigneur ?), tout honneur, il me faut en premier lieu remercier les (excellentes) rennaises éditions Critic ainsi que notre bibliothèque virtuelle et site de chroniques en ligne préférés, je veux bien entendu mentionner Babelio.com, sans lesquels je n'aurai probablement jamais ouvert ni lu ce (disons-le de suite) très bon Nécropolitains du jeune (dans la mesure où ce n'est, semble-t-il, que son second roman) Rodolphe Casso. Un ouvrage reçu, comme vous l'aurez deviné, dans le cadre du dernier Masse Critique consacré aux littératures de l'imaginaire et je ne regrette aucunement les quelques sept cent pages qui le constituent. Cela pourrait en effrayer d'aucuns, pourtant, sans être à proprement parler un "page turner" (Zeus! que je déteste ces expressions globichisées), cet horrifique et très politique roman, comme nous le verrons plus loin, se lit sans trop laisser au lecteur le temps de reprendre son souffle. Ce qui, concernant une histoire de Zombies, semble relever d'une certaine logique, non ?
Prévenons par avance notre futur lecteur. Cette humble chronique s'annonce possible de "divulgachâges", pour barbariser un néologisme (sic !) qui nous vient de l'autre côté de l'Atlantique, mais d'un peu plus au nord que Chicago, nos cousins québécois étant généralement plein de ressources pour mettre à la sauce francophone d'horribles (mais hélas utiles) mots saxons. Ainsi l'affreux "spoiler" est-il devenu chez eux le très visuel "divulgâcher", et je les en remercie ! Mais trêve de prolégomènes, entrons donc dans le vif du sujet.
Nous somme donc "maintenant", à quelques années près, ou moins. L'histoire qui est contée ici « se déroule environ un an après l'apocalypse zombie qui a ravagé Paris, la France, et probablement le reste du monde», ainsi que se plait à rappeler l'auteur? Tenons-nous le pour dit. En revanche, ceci est aussi une autre histoire que le lecteur convaincu pourra découvrir dans le premier récit de Rodolphe Casso : PariZ. Que tout le monde se rassure : nul besoin d'avoir lu ce premier volume pour goûter, totalement, celui-ci. C'était d'ailleurs mon cas et le précédent opus m'attend désormais sur ma table de chevet.
Nous sommes donc maintenant - ou tout bientôt, les amis : préparez-vous ! - sur la base aérienne 921 de Taverny. "Sur"... pour être exact, plutôt "sous", les militaires s'y trouvant vivent désormais bien plus comme des taupes que comme des aigles, seul moyen de survivre à l'apocalypse citée plus haut. Seulement, lorsqu'on a pour métier de voler "ad suma", voir son quotidien borné par les mêmes couloirs froids creusés à même la pierre, les mêmes pièces aveugles, les mêmes individus rendus blafards (et de plus en plus barbus) par l'isolement, ça peut finir par rendre dingue, ou suicidaire - pourquoi pas les deux ? - le mieux préparé des bidasses. Seules quelques âmes d'élite parviennent à tenir le choc, bien que, même pour elles, l'éternité ça peut sembler long, «surtout vers la fin» comme n'oublie jamais de le rappeler Woody Allen, et même le fringant Capitaine Franck Masson, champion international de parachutisme, grand sportif, fier gaulois de la France Éternelle et très profond croyant, finit par s'ennuyer comme jamais dans cet immense trou à rat. Il est donc temps que cela change ! Une chance pour lui : la race humaine ne laisse jamais totalement tout tomber devant l'adversité la plus mordante, fut-elle morte-vivante. Ainsi le général commandant cette base a-t-il découvert que trois lieux mythiques (au moins deux en tout cas. le troisième est plus intimement parisien) de notre (ex) capitale nationale étaient encore très probablement entre la mains d'humains bels et biens vifs, certains indices satellitaires ne laissant guère de doute : Une bonne partie de la butte Montmartre, l'intégralité du Parc Chaumont ainsi que la célébrissime île de la Cité sont assurément indemnes du fléau.
Notre Rambo (ex) national est donc l'homme parfaitement indiqué pour remplir cette dangereuse mission : pénétrer en territoire mortifère, prendre contact avec ces îlots de résistance, s'en faire bien voir dans la mesure du possible, porter un message de soutien si le besoin s'en faisait sentir, voir comment structurer ces poches de résistance, procéder à un éventuel échange de service. Pour la France, il va sans dire. L'Éternè... heu... le... 'Fin, un machin d'un passé très éloigné d'environ douze mois !
Bien évidemment, super-bidasse va tomber sur un os. Non ! sur une suite ininterrompue de gros os difficilement prévisibles à ce niveau. Mais ce n'est pas parce que la chair humaine est de nouveau une valeur sûre tant sur le marché extérieur (nos chers Zombies, ne les oublions pas) qu'intérieur (faut pas perdre de la bonne viande lorsqu'elle vient à se présenter. Les rats et les pigeons, ça va un moment, n'est-ce pas...?) que notre (drolatique caricature) de héros va se déboulonner. N'est pas le Capitaine Franck Masson qui veut, et il en a vu d'autres, le bougre, par ailleurs grand spécialiste es-Krav-Maga, pétrit de certitudes (globalement toutes bousculées et foulées au pied au fil des pages) et toujours près, tel un scout des temps modernes ? Mais était-il préparé à croiser autant de personnages proches de la dinguerie, soit qu'ils l'aient déjà un peu été par avance, frappés, soit que les événements les aient poussé à y plonger corps et âme, tous étant invariablement hauts en couleur ?
Ce qu'il n'avait certainement pas prévu, notre Rambo de l'an un de la fin du monde, c'est à quel point l'humaine engeance était susceptible de recréer des modes de "gouvernement" divers et passablement incongrus, mêlant folie plus ou moins douce et pragmatisme obligé, alternant survivalisme forcé (voire forcené) et moments difficilement prévisibles de grâce, de poésie décalée, de sagesse hiératique, pourvu que ces modalités de pouvoir puissent maintenir un semblant de société (difficile, à ce stade, d'écrire : de civilisation). Que ce soit sous l'égide perverse d'un ancien animateur de jeu "star" de la petite lucarne (très facilement reconnaissable. Il s'en prend plein les fouilles... C'est jubilatoire), que ce soit avec la douceur bienveillante mais très lucide d'un "paysan philosophe", ou par la grâce obligatoire d'un nouveau fou de Dieu très Chrétien (passablement plus diabolique que les morts-vivants qui l'environnent), Franck Masson devra chaque fois passer sous les fourches caudines de ces nouveaux maîtres ou, pour le moins, de leurs zélateurs. Que demeurera-t-il alors de ses certitudes à la toute fin de ses Nécropolitaines aventures ? Sera-t-il encore et toujours le très chrétien chevalier blanc d'une Mère-Patrie recomposée (et surtout en grande voie de décomposition) ? Pourra-t-il toujours se reconnaître dans ces Valeurs Immortelles que son éducation ainsi que sa destinée militaire lui avaient inculqué ? C'est évidemment rien moins que certain. N'empêche, et par-delà la facile moquerie, notre Chevalier Pardaillan d'infortune, ce Bayard des temps obscurs saura évoluer au fil des pages, contraint et forcé par une succession ininterrompue d'aventures, de souffrances physiques et psychiques ainsi que de contretemps sans doute, mais Rodolphe Casso sait aussi le rendre sympathique en le laissant, par petites touches visibles mais fines, évoluer plus loin et plus souplement que cet archétype du fantassin de première ligne ne le laissait dans un premier temps supposer.
Et les zombies, pendant ce temps-là ?
Les zombies ? Ils vaguent, les zombies, ils vaguent (presque à l'âme, c'est dire). Soyons francs : Les morts-vivants sont ici purs prétextes à imaginer des mondes, mêmes insignifiants, peuplés d'humains et la faculté de ces derniers à se sortir du pire par tous les moyens possibles. Les bouffeurs de chair humaine sans vie ni esprit n'interviennent finalement qu'assez rarement, sinon comme présence sourde, monstrueuse et globale dans l'environnement proche de ces infimes poches de résistance. Les lecteurs de The Walking Dead et autres World War Z en seront toutefois pour leurs frais : les morts-vivants de Rodolphe Casso renouent (enfin ?) avec la tradition de ceux des films du génial George Andrew Roméro, alias "le Roi des Zombies", le créateur affreusement incompris et mésestimé de films profondément politiques et sociaux dans lesquels, bien souvent avec les moyens du bord, il créa cet univers incroyable de la Zombie-Sphère. Ils sont lents, empesés, maladroits, gauches, incapables du moindre effort physique inédit et survolté. Mais ils sont innombrables et inexorables, comme ceux de la Nuit des Morts-Vivants. Par ailleurs, Rodolphe Casso n'oublie pas les références-révérences (sans aucune pesanteur) à quelques classiques du genre, de John Carpenter à Richard Matheson en passant, c'est lui qui l'affirme en interview - on veut bien l'entendre -, par l'inoubliable La Route de Cormac McCarthy, au style aussi sobrement poétique et épuré que son roman est diablement efficace et puissant, bien qu'il s'agisse ici de survivre à une apocalypse sans le moindre zombies.
Génération "Netflix" ou vraie connaissance d'une littérature d'outre-temps (l'un n'empêche pas l'autre), ce Nécropolitains très parisien pourrait aussi passer pour un très bel hommage à la grande époque du roman-feuilleton du XIXème, du grand exemple s'il en est d'Eugène Sue avec "Les Mystères de Paris" (que presque plus personne ne lit, soyons honnête. C'est bien dommage) : chaque nouveau chapitre amène son lot d'aventure, chacun son lot de rebondissement, chacun ouvre (avec bonheur) sur le suivant, jusqu'à sa conclusion finale. Comme dans ces romans d'une autre époque - ce qui ne leur enlève pas tout intérêt, bien au contraire -, il n'y a jamais de retournement complet, de surprise totale au fil de ce récit et le lecteur songe, assez régulièrement, qu'il s'attendait à quelque suite du genre. Rodolphe Casso est bien plus subtil que cela : c'est par petites touches quasi impressionnistes qu'il se complaît à étonner son lecteur. Sans emphase, ni contrefaçon, ni extravagance incongrue (la situation de départ ne l'est-elle pas déjà bien assez ainsi ?). Aussi, lui pardonne-t-on aisément ses péchés mignons : celui, - en est-ce un ?- , d'être un amoureux inconditionnel, connaisseur et passionné de sa ville, au point de donner, ici et là, dans le guidage pour touriste (très) curieux. On peut ne pas apprécier, estimer hors-sujet ces pages disséminées au fil du texte. C'est, avouons-le, parfois un peu fastidieux à force de précisions et de tirage à la ligne (c'est tout particulièrement le cas au cours de la "visite" du Capitaine sur la Butte Montmartre. Ça l'est moins pour les deux autres sites, tandis que ces moments d'Histoire demeurent pourtant présent), ça n'est jamais sans intérêt (Sinon, faites comme moi : prenez votre plan de Paris et suivez pas à pas le Capitaine. Vraiment, c'est drôle, incroyablement exact et édifiant !). On pardonnera tout aussi bien à l'auteur de laisser percer sa préférence quant aux modes de survie (de bon gouvernement ?) qu'il dépeint. On peinerait à ne pas partager son avis ! On lui sera gré, enfin, d'une mise en jambe un brin longuette (je dois sincèrement l'avouer : je n'abandonne pour ainsi dire jamais aucun texte entamé, sauf l'Assommoir du vieux père Zola, mais j'ai eu une première impression, peu engageante, mais finalement brève). Une première quarantaine de pages sans nul doute nécessaires, qu'il faut avoir la patience de laisser derrière soi afin de savourer les quelques sept cent pages virevoltantes, calambouriennes, horrifiques, joyeusement et sérieusement loufoques qui suivent. Il faut prendre cette introduction à rebrousse lecture comme sorte de rapide Chemin de Damas indispensable à qui veut survivre en milieu Zombie hautement non-identifié.
Hormis ces inévitables critiques un rien négatives - ne sommes-nous là pour dire les choses avec franchise ? -, la plume de Rodolphe Casso est un vrai petit bonheur d'élégance frustre (avec un tel sujet...), de précisions finement amenées avec son lot de justes descriptions, de dialogues à la mords-moi le macchabée et d'humour, une fois admis les jeux de mots ou de noms très "border-line". Moi, j'adore !
Qu'ajouter sinon que je me suis procuré dans la foulée son PariZ, par avance persuadé de me faire plaisir ? À bon entendeur...
Un rapide post-scriptum que j'adresse, comme une bouée dans un océan de Zombies, à l'auteur, aux éditeurs ou à tout lecteur plus futé que votre humble chroniqueur : À l'instar de tous les autres noms propres détournés avec un grand sens de la dérision par Rodolphe Casso, Je n'ai toujours pas trouvé la référence au Monseigneur - Billecoq pour le citer - du roman, mais je ne désespère pas. Comprenne qui lira...
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