Philip Reeve

Les terres cachées. On ne les voyait qu'au crépuscule. À l'heure où les frontières entre les mondes s’amincissaient, d'étranges créatures étaient susceptibles de les franchir en catimini. Alors, racontaient les vieilles histoires, des îlots enchantés surgissaient du néant de l'océan, à l'ouest. Nul ne savait ce qu'ils étaient exactement. Aucun des bateaux qui avaient tenté de voguer vers eux n'en était revenu. Pourtant, une fois, il y avait très longtemps de cela, une sorcière des mers avait allumé un feu entre les pierres levées du cap de Saint-Phocas, et un monstre enragé vivant dans les Terres Cachées avait jailli au milieu des flots : le Gorm, un être si épouvantable qu'il avait été dès lors jugé nécessaire d'installer un gardien sur les Déferlantes.
Ce n'était rien qu'une légende, bien sûr. Du moins, c'est ce qu'estimaient les gens en Angleterre et ceux qui habitaient des îles plus civilisées, comme Finnery et Lamontane. Mais on était sur les Déferlantes, à l'extrême ouest du monde battu par les vents, où des trolls peuplaient les Pitreries et où une vraie sorcière lançait ses sortilèges depuis les Éboulis. Ici, il était possible de croire à presque tout.
Aussi, Nuit scruta l'horizon avec son télescope, tous les soirs pendant une heure, jusqu'à ce qu'il fasse trop sombre pour distinguer quoi que ce soit. Si elle n'aperçut aucun îlot magique, elle ne réussit pas non plus à se débarrasser de l'impression pesante qu'ils existaient. Elle revenait sans cesse aux dernières notes de M. Noire en s'interrogeant sur leur sens. Puisque les Terres Cachées s'étaient montrées à lui, pourquoi ne le faisaient-elles pas avec elle ? pg 36 et 37