- Un mois ? Quelques semaines ?
- Ecoutez, dis-je en m'éjectant du fauteuil, le menton relevé pour pouvoir le fusiller du regard, je n'ai pas couché avec lui. Je n'ai jamais couché avec lui. Je n'ai couché avec personne depuis des lus...
Sans bouger un cheveu, il baissa les yeux vers moi, l'air presque surpris.
Ma lucidité revint au ralenti. J'inspirai pronfondément et reculai d'un pas.
- Je n'ai pas eu de rapports sexuels avec M.Bomstad.
S'il avait exprimé la moindre ironie, je lui aurais craché dans les yeux.
- Jamais ?
- Jamais.
- Oh ! opina-t-il agréablement. Et vous avez un petit ami ?
- Pas en ce moment.
Il referma son carnet d'un coup sec et se dirigea vers la porte, d'où il se retourna :
- Des années de célibat, ça joue forcément sur le caractère.
J'envisageai de lui envoyer mon escarpin à la figure. Mais j'avais une image à défendre. Surtout qu'il devait être sacrément plus rapide qu'une Ferragamo chargée.
Il faisais le double de ma taille, de mon poids et mon seul recours était de me battre, alors j'y suis allée de toutes mes forces. Mon poignet s'arrêta au niveau de son oreille comme un coup d'aile d'hirondelle. Il l'immobilisa sans effort et m'écrasa vers le sol un grand sourire aux lèvres.
Je marmonnai quelque chose d'incohérent, promesses, prières ou menaces. Qui sait ? Puis soudain son étreinte se relâcha légèrement. Je reculai pour essayer de me redresser. Il tangua, les mains crispées sur sa poitrine, et tomba à genoux. Je sautai sur le téléphone, composai un numéro avec des doigts fous et bredouillai dans le combinai.
Bomstad roula ses yeux vers moi. Je raccrochai et vacillai contre le mur.
Puis comme un mauvais acteur mélodramatique, il s'écroula à terre aussi mort qu'une punaise.
Intelligent, bien éduqué, clair et précis; ainsi était M.Howard Lepinski. Malheureusement, il lui manquait deux as pour faire un brelan.
- Alors, qu'en pensez-vous ? demanda-t-il en me scrutant à travers ses verres épais. Cet homme grand comme trois pommes, flanqués d'un tic facial et d'une moustache, souffrait d'un besoin étrangement inextinguible de décortiquer par le menu le moindre de ses choix.