Namibia, c'est l'histoire d'une suite qui n'était pas nécessaire, qui paraît même un peu forcée (il faudra vraiment faire preuve d'une grande souplesse d'esprit pour tolérer tellement d'incongruités et de facilités), mais qui se suit avec presque autant de plaisir que les cinq premiers tomes de Kenya. Namibia se permet même de corriger quelques-uns des défauts de sa grande soeur ; sans être devenue sage, la série est moins perverse que l'originale (et un poil moins vulgaire, encore que !). Les évènements paraissent mieux s'imbriquer les uns dans les autres. On retrouvera aussi certaines des forces de la série originale, avec des idées visuelles géniales (surtout concernant certains "monstres"), de jolis panoramas (dépaysement garanti), et un rythme toujours aussi efficace. La série est inflexible et pourtant bienveillante vis-à-vis de ses anti-héros ; il y a les gentils, les méchants, et les gentils salauds. le rythme est impeccable et chaque fin d'épisode nous pousse à vouloir vite nous jeter sur le prochain. Quant au mélange des genres, il est aussi plaisant qu'à l'habitude, à la croisée des romans d'aventure du siècle dernier, du fantastique, du thriller, de l'Histoire et de la science-fiction.



Malheureusement, ces qualités confirmées ou inédites sont vites tempérées par de nouveaux défauts. Déjà, les albums manquent de caractère ; ils n'ont plus autant de personnalité que n'en avaient les cinq tomes de Kenya. S'ils n'ont plus de sous-titres et se contentent de s'appeler "épisodes 1, 2, 3...", c'est aussi parce qu'ils ont perdu en singularité. Là où chaque tome de Kenya était une aventure dans l'Aventure, les cinq livres de Namibia ne sont plus que des chapitres d'une même histoire sans péripétie ou ambiance propre. Aussi, Namibia perd beaucoup en horreur et en mystère. Fini ces planches effrayantes où le simple visage d'une créature dévorant sa proie à la nuit tombée vous glaçait le sang. Fini ces palais démesurément splendides, isolés au milieu d'une savane hostile, intenses lueurs qui narguaient l'obscurité alentour, ce néant épais et glouton qui poussait les murs, frappait aux portes, impatient de son heure, l'heure de tout engloutir. Adieu les folies, adieu les disproportions, adieu l'extravagance et la monstruosité qui donnaient à certaines pages de Kenya une saveur de fantastique à la limite du cauchemar, improbable et irrémédiable. Namibia est devenue prudente, elle s'explique beaucoup trop (et trop vite), rassure souvent le lecteur avec une foule d'adjuvants plus capables (voire invincibles et omniscients) les uns que les autres, et les justifications qu'elle trouve à son récit sont à la limite de la fainéantise, tellement certaines ficelles sont grosses.



Pourtant, malgré la perte d'atouts essentiels, malgré le fait que cette suite ressemble à une greffe qui a du mal à prendre, qu'on essaie de rattacher au reste du corps coûte que coûte, et vas-y que je pousse, ça va bien finir par rentrer!, Namibia reste une aventure généreuse, distrayante et, osons-le, un peu fascinante tout de même. Difficile de s'arrêter une fois lancé. Une suite de trop, une suite dispensable à tous points de vue, mais indispensable quand même, parce que c'est presque aussi chouette que Kenya et qu'on en redemande volontiers.