Je remercie les éditions Dupuis et Babelio pour m’avoir envoyé la BD Jungle book : la meute d’Anne Quenton en échange de mon avis.
Je n’ai comme référence que la version Disney du Livre de la jungle, mais cela ne m’a pas empêchée d’apprécier cette BD librement inspirée de l’ouvrage de Rudyard Kipling.
On y retrouve les principaux personnages emblématiques mais l’autrice a fait le pari audacieux, et parfaitement réussi, de les faire évoluer dans un monde post-apocalyptique où le rapport de force entre humains et animaux est inversé. Ainsi, les animaux, ici présentés dans une version anthropomorphique criante de réalisme, dominent et les humains, adultes comme bébés, deviennent la proie de leur cruauté et de leur désir de vengeance. C’est d’ailleurs pour éviter une mort certaine à un bébé humain que la très courageuse Raksha et son mari, deux loups, le prennent sous leur protection et l’élèvent comme si c’était leur enfant.
Mais une humaine peut-elle réellement trouver sa place dans une meute de loups quand ses frères ne cessent de lui rappeler ses différences, même si c’est pour la taquiner, et que ses parents la surprotègent sans considérer son besoin de découvrir qui elle est vraiment et d’explorer sa vraie nature ? Une question d’importance surtout quand le danger semble inexorablement se rapprocher et que l’équilibre de cette famille atypique et terriblement touchante est mis en péril…
La BD s’ouvre sur une scène qui frappe par sa violence, à l’image d’une histoire qui m’a surprise, Anne Quenton n’hésitant pas à souligner l’âpreté de ce monde dans lequel les animaux semblent avoir adopté la violence des humains, en plus de leurs vêtements et de leurs postures. Heureusement, ce premier tome possède également une part de lumière certaine que ce soit grâce à un sublime travail de colorisation, aux illustrations dont le réalisme et la précision subjuguent, ou aux belles valeurs d’entraide, d’amour familial, d’acceptation et de bienveillance dont ses pages sont imprégnées.
J’ai d’ailleurs été très touchée par la manière dont Raksha et son mari feront une place à Moogli dans leur vie malgré le danger et le risque de s’attirer l’animosité de l’implacable Shere Khan. Bien que ce soient des loups, ils sont confrontés au même dilemme que les parents humains entre instinct de protection et envie d’aider leur fille à grandir. Une fille que, par le jeu des ellipses temporelles, on découvre à différentes étapes de sa vie, de l’enfance à une adolescence un peu compliquée, Moogli ayant besoin de liberté et de réaliser qui elle est vraiment. Une volonté d’indépendance et une quête d’identité que l’on comprend sans peine mais qui risque de la mettre elle et les siens en danger…
Alternant entre moments de jeu, instants de vie en famille et passages emplis de tension, l’autrice propose ici un tome qui se lit tout seul et qui impose aux lecteurs son propre rythme. Un rythme étonnant qui donne l’impression que la vie s’écoule doucement au gré des chamailleries entre frères et soeur et des interventions de l’inimitable Baloo. Mais le poids des non-dits et l’aura de danger croissante contrebalancent ce sentiment pour créer chez les lecteurs une certaine angoisse et un sentiment d’urgence. L’air devient de plus en plus pesant jusqu’à un final suffocant qui donne envie de se jeter sur la suite ; une suite qui, je l’espère, sera bientôt publiée. En attendant, je pense lire le texte original puis relire ce premier tome afin d’en saisir le degré d’inspiration.
En conclusion, Anne Quenton nous propose ici une réécriture du Livre de la jungle riche en tension, action et émotions, qui rappelle la force de l’amour familiale et de la solidarité sans pour autant occulter le danger et le poids des silences qui peuvent briser. Prise entre l’amour des siens et pour les siens et une quête légitime d’identité et des velléités de liberté, Moogli est au croisement des chemins dans un monde post-apocalyptique dans lequel toute erreur peut lui être fatale. Un premier tome parfaitement maîtrisé autant sur le fond que la forme parfait pour ceux qui aiment les mondes âpres, mais non dénués de lumière, dans lesquels la haine n’a pas forcément forme humaine.
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