AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Anthologie de nouvelles japonaises contemporaines

Série de 2 livres (En cours). Écrite par Éditions Gallimard (2),


Vous aimez cette série ? Babelio vous suggère

13637 lectures
5 livres
1916 lectures
4 livres
5885 lectures
6 livres
92 lectures
2 livres
2203 lectures
2 livres
836 lectures
3 livres

Dernières critiques
Anthologie de nouvelles japonaises contempo..

Je ne rends compte ici que d'une des nouvelles de cette Anthologie. Il s'agit de « À mi-chemin de la vie de Shinsuke Daidoji », rédigée par Ryunosuke AKUTAGAWA (1892-1927), in Anthologie de nouvelles japonaises contemporaines. Tome 1, Gallimard, 1986 [1925], p. 137-158.

Publiée en 1925, deux avant le suicide de son auteur, cette nouvelle d'une vingtaine de pages, se présente comme le récit de la vie de Shinsuke Daidoji, sorte de double d'Akutagawa. Sans être à proprement parler une autobiographie, plusieurs traits de caractère et épisodes de l'existence de l'auteur transparaissent dans la nouvelle. En particulier, son pessimisme et son intranquillité – qu'il a qualifiée de vague inquiétude –, l'hostilité qu'il ressent de la part des autres et qu'il projette sur la société japonaise du début du XXe siècle, cette vision radicalement désenchantée du monde, tout ce qui caractérise la personnalité de l'auteur, Akutagawa en fait la description très fine dans le portrait qu'il dresse de Shinsuke Daidoji.

Ce dernier est né Honjo, un quartier de Tokyo qu'Akutagawa dépeint comme laid, boueux, crasseux, sans prétention. À l'époque où il a grandi, Honjo est traversé par un égout à ciel ouvert appelé Otakegura où flottaient des algues et qui exhalait en permanence une odeur fétide. Il se souvient de ce matin où, accompagnant son père sur les bords de la rivière Simuda, en un lieu fréquenté par les pêcheurs, il a vu un cadavre flottant au milieu des herbes aquatiques. Malgré tout, Shinsuke Daidoji préférait Honjo aux beaux quartiers.

Un épisode imputé à la vie de Shinsuke Daidoji permet à Akutagawa d'évoquer sa propre fascination pour la littérature mondiale, signalant en filigrane son érudition et sa passion de la lecture. Shinsuke avait éprouvé un sentiment de grande fragilité à l'idée d'avoir été nourri avec du lait de vache, sa mère n'ayant pu le nourrir au sein. Il en avait longtemps fait un complexe, persuadé que cela l'avait rendu plus vulnérable. Il s'était guéri de ce sentiment invalidant après avoir découvert la légende de Romulus et Remus, nourris par une louve.

Sa famille était pauvre, tout en cherchant à donner une apparence petite-bourgeoise, ce qui conduisait ses parent à économiser sur tout et à mentir. Cette confrontation avec le manque, l'obligation de compter en permanence, de rogner sur tout, de se priver, d'être obsédé par le besoin, et la volonté de paraître malgré l'indigence, la manière dont le désir contrarié de ses parents imprégnait de mesquinerie leur quotidien, tout ce vécu amer l'aura profondément affecté et conditionnera sa vision tragique du monde.

« Shinsuke avait haï cette misère. Non, aujourd'hui encore il conserve au fond de son coeur un écho de la haine de ce temps-là, ineffaçable » (p. 142). « Il avait haï toute la médiocrité de son foyer. Et bien plus encore. À cause de cette médiocrité, simplement, il avait les parents qui l'avaient engendré » (p. 143).

Akutagawa insiste tout particulièrement sur les sentiments que Shinsuke éprouvait envers son père. D'un côté, l'apparence de ce dernier lui faisait honte. D'un autre côté, il avait honte d'éprouver cette honte. Plus généralement, Shinsuke note dans son « Journal non hypocrite », qu'il ressentait de la haine envers beaucoup de gens, mais que, simultanément, il haïssait cette haine. Malgré toutes les ouvertures sur le monde que lui procureront ultérieurement ses innombrables lectures, malgré toute l'influence bienfaisante, émancipatrice, qu'elles exerceront sur lui, il demeurera profondément marqué par la honte et la haine du milieu dans lequel il était né et avait grandi. In ne pouvait échapper au fait « qu'il était avant tout le fils d'un fonctionnaire en retraite : il était un individu engendré par la misère de la petite bourgeoisie, une misère qui, bien plus que celle des classes populaires, devait s'accommoder du mensonge » (p. 145).

Quant à l'éducation scolaire, l'enseignement institutionnel, il n'y a trouvé aucun intérêt. Ce qui l'avait fait tenir jusqu'à la fin de ses études, ce qui l'avait fait dépasser son envie d'abandonner, c'était la crainte de retomber dans la misère. Ce qu'il ressentait le plus durement, c'était le caractère inutile des matières enseignées. L'école, c'était aussi le lieu des punitions, de l'arbitraire professoral, des humiliations, dont il se protégeait a minima en se confiant à son journal intime. Si certains professeurs se montraient attentionnés envers lui, il sentait que s'interposait entre élèves et enseignants la barrière invisible de « la responsabilité pédagogique », empêchant que s'établisse « une complicité simplement humaine » (p. 147). Et ce, « parce que se gagner leur faveur impliquait aussi une servilité propre à flatter leur autorité » (p. 147). Et pourtant, Shinsuke était un excellent élève, obtenant des notes brillantes à tous les examens. Tout compte fait, ce que lui ont appris les années d'étude au collège, c'est à s'endurcir pour supporter la solitude.

Ce qu'il sait, c'est au travers de ses lectures qu'il l'a acquis, dès l'école primaire, et sans jamais se lasser de cette pratique. Enfant, il accordait plus de réalité aux personnages des romans et à leurs aventures, qu'à tout ce qui l'entourait.

« Pour connaître la vie, il n'observait pas les passants des rues, non. Bien au contraire, c'était pour observer les passants qu'il voulait connaître la vie qui était dans les livres » (p. 150).

Comme il préfère les livres qu'il a achetés, c'est un supplice pour lui de devoir en vendre certains pour en acheter d'autres – du fait de la pauvreté et des privations familiale.

« Trop pauvre pour acheter à sa guise tous les livres qui lui faisaient envie, il avait, tant bien que mal, tourné la difficulté, grâce aux bibliothèques, puis aux librairies de prêt (...). Après la bibliothèque d'Ohashi, la bibliothèque impériale. Il se souvient du tout premier choc qu'elle lui donna ; de son angoisse devant le haut plafond (...), devant la multitude de gens remplissant la multitude de chaises. (...) Puis la bibliothèque du lycée et celle de l'université. Il ne savait combien de centaines de livres il avait empruntés à ces bibliothèques ; ni combien de dizaines d'entre eux qu'il avait aimés. Mais... Mais ceux qu'il avait aimés (...), indépendamment de leur contenu, c'étaient, au fond, ceux qu'il avait achetés. Shinsuke n'avait jamais mis les pieds dans un café : il préférait s'offrir des livres » (p. 150-151).

Quant à ses « amis », il ne les choisissait que parmi « ceux qui avaient un cerveau », il exigeait d'eux un haut degré d'intelligence. Mais simultanément, il éprouvait envers eux un sentiment de haine. Sans doute parce qu'ils pouvaient être meilleurs que lui ?

« C'était ainsi : son amitié était une passion où toujours, dans l'amour, couvait un soupçon de haine. (...) Ses amis, à l'époque, étaient des ennemis mortels, et en un sens inconciliables. Il avait dû lutter sans trêve contre eux » (p. 153).

Sans doute Akutagawa veut-il mettre l'accent sur l'obsédante compétition qui régnait entre adolescents puis étudiants pour prouver leur supériorité intellectuelle, par exemple pour interpréter un grand auteur, ce que le narrateur appelle des « duels de l'esprit » (p. 153) ou encore les « champs de bataille » (p. 153).

Au travers de ce portrait d'un lettré torturé, aigri, doté d'une capacité d'autoanalyse aiguë, mais incapable d'être heureux, Akutagawa semble dévoiler une partie des tourments qui le hantent. Et s'il parvient à transformer en oeuvre d'art ses souffrances, est-ce pour tenter d'en guérir ou pour expliquer sa volonté d'en finir, sa décision logique de mettre fin à ses jours ?

Commenter  J’apprécie          20
Anthologie de nouvelles japonaises contempo..

Je ne rends compte dans cette "critique", que d'une des nouvelles de ce recueil, celle rédigée par Ryunosuke Akutagawa (1892-1927), « À mi-chemin de la vie de Shinsuke Daidoji », in Anthologie de nouvelles japonaises contemporaines. Tome 1, Gallimard, 1986 [1946], p. 137-158.

Il s’agit du récit de la vie de Shinsuke Daidoji. Ce dernier est né dans un quartier assez laid, boueux, crasseux, sans prétention, le quartier de Honjo, mais dont le narrateur indique qu’il le préférait aux beaux quartiers. Le quartier où il a grandi est traversé par l’égout à ciel ouvert appelé Otakegura où flottaient des algues et qui exhalait en permanence une odeur fétide. Il se souvient de ce matin où, accompagnant son père sur les bords de la rivière Simuda, en un lieu fréquenté par les pêcheurs, il a vu un cadavre flottant au milieu des herbes aquatiques.

Comme le répète à plusieurs reprises, la famille Shinsuke Daidoji était pauvre, tout en cherchant à donner une apparence petite-bourgeoise, ce qui conduisait ses parent à économiser sur tout et à mentir. « Shinsuke avait haï cette misère. Non, aujourd’hui encore il conserve au fond de son cœur un écho de la haine de ce temps-là, ineffaçable » (p. 142). « Il avait haï toute la médiocrité de son foyer. Et bien plus encore. À cause de cette médiocrité, simplement, il avait les parents qui l’avaient engendré » (p. 143). Et tout particulièrement son père, dont l’apparence lui faisait honte. Tout comme d’ailleurs, sa propre honte lui faisait honte. Dans le même sens, Shinsuke note dans son "Journal non hypocrite" qu’il hait la haine.

Malgré tout ce qui l’influencera plus tard, il demeura profondément marqué par la honte et la haine du milieu dans lequel il était né : il ne pouvait qu’admettre « qu’il était avant tout le fils d’un fonctionnaire en retraite : il était un individu engendré par la misère de la petite bourgeoisie, une misère qui, bien plus que celle des classes populaires, devait s’accommoder du mensonge » (p. 145).

Quant à l’école, l’enseignement, il n’y a trouvé aucun intérêt. Ce qui l’avait fait tenir jusqu’au bout, jusqu’à la fin de ses études, ce qui l’avait fait dépasser son envie d’abandonner, c’était la crainte de retomber dans la misère. Ce qu’il ressentait le plus durement, c’était le caractère inutile de ce qu’on leur faisait apprendre. L’école, c’était aussi le lieu des punitions, de l’arbitraire professoral, des humiliations, dont il se protégeait a minima en se confiant à son journal intime. Si certains professeurs se montraient attentionnés envers lui, il sentait que s’interposait entre élèves et enseignants la barrière invisible de « la responsabilité pédagogique », empêchant que s’établisse « une complicité simplement humaine » (p. 147). Et ce, en particulier « parce que se gagner leur faveur impliquait aussi une servilité propre à flatter leur autorité » (p. 147). Et pourtant, Shinsuke était un excellent élève, obtenant des notes brillantes à tous les examens. Tout compte fait, ce que lui ont appris les années d’étude au collège, c’est à s’endurcir pour supporter la solitude.

Ce qu’il sait, c’est au travers de ses lectures qu’il l’a acquis, dès l’école primaire, pratique qu'il a perpétuée sans jamais se lasser. Enfant, il accordait plus de réalité aux personnages et à leurs aventures, qu’à tout ce qui l’entourait. « Pour connaître la vie, il n’observait pas les passants des rues, non. Bien au contraire, c’était pour observer les passants qu’il voulait connaître la vie qui était dans les livres » (p. 150). Il préfère les livres qu’il a achetés et c’est un supplice pour lui de devoir en vendre certains pour en acheter d’autres (misère familiale) : « trop pauvre pour acheter à sa guise tous les livres qui lui faisaient envie, il avait, tant bien que mal, tourné la difficulté, grâce aux bibliothèques, puis aux librairies de prêt (...). Après la bibliothèque d’Ohashi, la bibliothèque impériale. Il se souvient du tout premier choc qu’elle lui donna ; de son angoisse devant le haut plafond (...), devant la multitude de gens remplissant la multitude de chaises. (...) Puis la bibliothèque du lycée et celle de l’université. Il ne savait combien de centaines de livres il avait empruntés à ces bibliothèques ; ni combien de dizaines d’entre eux qu’il avait aimés. Mais... Mais ceux qu’il aimait (...) indépendamment de leur contenu, c’étaient, au fond, ceux qu’il avait achetés. Shinsuke n’avait jamais mis les pieds dans un café : il préférait s’offrir des livres » (p. 150-151).

Enfin, en ce qui concerne ses « amis », il ne les choisissait que parmi « ceux qui avaient un cerveau », il exigeait d’eux un haut degré d’intelligence. Mais simultanément, il éprouve envers eux un sentiment de haine. Sans doute parce qu’ils peuvent être meilleurs que lui ? « C’était ainsi : son amitié était une passion où toujours, dans l’amour, couvait un soupçon de haine. (...) Ses amis, à l’époque, étaient des ennemis mortels, et en un sens inconciliables. Il avait lutté sans trêve contre eux » (p. 153). Sans doute veut-il dire qu’ils se livraient à une sorte de compétition pour qui se montrerait le plus intelligent pour interpréter un grand auteur, ce que le narrateur appelle des « duels de l’esprit » (p. 153). Il parle aussi de « champ de bataille » (p. 153).

Akutagawa explique à la fin de la nouvelle qu’il envisage de transformer la nouvelle en roman, mais que titre ne le satisfait, mais comme il n’en trouve pas d’autre, il s’en contentera.

Commenter  J’apprécie          10

{* *}