Mai 1864. Saccard s'attable alors que le soleil réchauffe la place de la Bourse où l'omnibus de la Bastille fait un arrêt, où les fiacres s'enfilent les uns derrière les autres. Saccard, c'est Aristide Rougon que nous avons déjà rencontré. À cinquante ans, après avoir bien goûté à la richesse grâce à la spéculation immobilière pour remodeler le tout
Paris, il tente de se remettre de sa dégringolade finale qui clôturait La Curée. Sa soif de triompher n'est pas encore éteinte et lui dessèche encore le gosier. Dans ce restaurant, les habitués de la Bourse, spéculateurs, remisiers, coulissiers, échangent avant l'ouverture de celle-ci et semblent battre froid à Saccard qui couve avec détermination le rêve de sa seconde ascension pour conquérir
Paris.
Son appétit de fortune est intact, il veut tenter « le grand coup », une affaire échafaudée dans sa cervelle avide d'or, de millions et de pouvoir. Car déjà, avant la fin du Second Empire, l'argent, et ceux qui en jouent fébrilement à la Bourse, détiennent et activent les ficelles du pouvoir.
Vu de loin, des fourmis, silhouettes noires grouillantes sur les marches de l'édifice financier est une des images pleines d'évocation qui font tout l'enchantement des lectures zoliennes. Donc, pour avoir
Paris et même le monde entier sous ses pieds, il suffit de contrôler toutes ces fourmis et prendre la place du tout puissant Gundermann, banquier roi, et qui, de par sa position, renferme ici toute la haine à venir du juif.
Voilà donc le grand projet de Saccard : créer une banque, la Banque universelle pour aller à l'assaut du monde. Finie la spéculation immobilière, place au jeu de la Bourse !
On se doute bien que l'ambition colossale de Saccard ne s'embarrassera pas des lois, ni ne s'inquiètera du frein de la morale pour apaiser sa fièvre.
Les magouilles financières ne datent pas d'hier, et celles d'aujourd'hui sont exactement similaires à celles décriées par
Zola. Trouvons les fonds, faisons monter, par tous les moyens, le cours de l'action et fixons-nous un plafond dont l'unique objectif n'est pas de l'atteindre mais de le dépasser.
En périphérie des hausses, baisses, ordres d'achats fermes ou à terme, des titres qui virevoltent jusqu'à étourdissement, des cours qui s'accélèrent, élèvent puis précipitent les acquéreurs,
Zola nous sert quelques personnages bien accommodés selon le rôle qu'il leur octroie. Il y a l'énorme Méchain, débordante de graisse, trimbalant son sac de cuir gonflé de valeurs déclassées de compagnies moribondes. L'image caricaturale du corbeau de la finance, avec son acolyte Busch, charognard chassant les débiteurs afin de recouvrer les créances non honorées.
Mais il y aussi une femme désirant redonner aux pauvres les millions acquis salement par son défunt mari et puis Mme Caroline, dont le désir de réveiller l'Orient enflamme les yeux de Saccard, imprimant sur ses rétines les milliards à la clé de ce développement.
En amour, en affaires, les infidélités courent et l'argent les talonne. Est-il maudit, pourri ou admirable ? N'a-t-il pas, à lui seul, la force d'améliorer de tristes conditions ? L'opinion de Caroline oscille et nous montre toute la complexité de ce questionnement.
Malgré la multiplicité des personnages,
Zola se focalise sur cette puissance financière et laisse peu de répit au lecteur profane, oubliant ses habituelles envolées descriptives des alentours qui m'ont cruellement manqué dans cet opus des Rougon-Macquart. Les termes boursiers, heureusement repris dans un lexique pour éclairer faiblement mon ignorance en la matière, sont très, très présents et
Zola en use et en abuse en les ramenant sur la scène moult et moult fois. Il n'en reste pas moins que je me sens toujours bien dans l'écriture de
Zola, dans sa façon d'aller au fond des choses avec richesse et éclat.