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Critique de ninachevalier


Frédéric Vitoux de l'académie française –
Jours inquiets dans l'île Saint-Louis ( Fayard – 299 pages- 19,50€)


Fédéric Vitoux instille le mystère dès le titre. En situant l'intrigue du roman dans l'île Saint-Louis, il nous offre deux facettes du lieu aux antipodes.
D'une part le passé historique, convoquant les sommités qui ont rayonné à l'hôtel Lambert. On croise les fantômes de Chopin, d'un poète polonais. Il y ressuscite la librairie' L'Étrave' qui reçut de nombreux cadors de la littérature dont Roland Dubillard ainsi que le bistrot 'Rendez-vous des mariniers' fréquenté par une pépinière d' auteurs: Rémy de Gourmont, Céline,Hemingway pour qui « Paris était une fête ».Il se remémore « l'érotisme de la lecture » et «  les extases procurées » à « écarter les pages » de ces livres non massicotés.
D'autre part on sent le pouls de cette île vibrer avec ses commerces d'où les rumeurs se propagent vite. A l'heure de Paris Plage, « la musique de bastringue » trouble « cette île inventée». Pourquoi ce lieu à l'écart des agitations, en retrait , calme «  un luxe de silence », où les résidents se connaissent devient subitement estampillé « Dracula- sur- Seine »?

Que se trame-t-il dans l'île Saint-Louis « immuable face au fleuve » pour qu'elle perde sa quiétude ?
Frédéric Vitoux y a installé une atmosphère automnale à la Simenon. Sous la pluie, l'île prenait des allures de décor de film « avec la mélancolie des réverbères reflétés par les pavés et l'eau noire de la Seine » «à charrier des cadavres ». Les traces de sang sur le trottoir intriguent, génèrent la psychose chez les insulaires. L'angoisse s'empare des protagonistes du roman. Qui sont -ils?

Charles, avocat, veuf souffre de solitude, et trompe son ennui par la lecture. Sa vie va basculer quand il offre l'hospitalité à Dorothy, la fiancée de son neveu, venue de Londres pour un stage à Paris. Ils s'apprivoisent. Un tsunami intérieur déstabilise Charles quand celle-ci dépose un baiser furtif sur ses lèvres. Il appert qu'un fossé de génération « un bloc d'années » et de culture les séparent. Ce qui donne une scène pétrie de tendresse paternelle, suscitée par le T.shirt qu'arbore Dorothy. Charles lui explique que le corbeau est en lien avec Edgar Poe , natif de Baltimore.
La personnalité de cette anglaise s'affirme, revendiquant sa liberté. Leurs différences peuvent-elles être « un rempart infranchissable »? Charles va-t-il se laisser vampiriser par Dorothy « cette grande bringue au léger strabisme »?ou la renvoyer à son neveu?
On croise et suit le quotidien des locataires de l'immeuble ( la concierge, addict aux jeux vidéo, un professeur en retraite, soucieuse de l'avenir de Toma, son protégé) où réside Charles.

La paranoïa est à son paroxysme quand Toma ( employé garagiste, logeant juste à côté de Dorothy) se retrouve témoin d'une agression. Traumatisé , il redoute une nouvelle mauvaise rencontre.
Un sérial-killer rôderait-il? La police va-t-elle confondre le coupable, en recoupant tous les témoignages?
le mystère entoure Jean Lefaur dont la visite laisse Charles perplexe. N'aurait-il pas dérobé un livre de sa bibliothèque qu'il essaye de monnayer?
Quant à Dorothy, refusant de dormir dans sa chambre de bonne, après avoir été menacée par un fou, ( s'agirait-il du même individu?), elle trouve auprès de Charles un refuge, une oreille bienveillante, une épaule réconfortante.
Frédéric Vitoux tient le lecteur en haleine jusqu'à ce que le carillon des cloches de l'église Saint-Louis annoncent le retour à la normalité, à la tranquillité d'esprit.

Les personnages de Frédéric Vitoux partagent ses propres goûts pour Dumas, Venise, Rossini, le fleuret, le cinéma, l'art, la beauté ainsi que son attachement à son quartier. Charles semble le double de l'auteur quand il confesse qu' « il existe très peu de livres qui bouleversent leurs lecteurs au point de les transformer à jamais »., précisant que pour lui ce fut ceux de Céline. Les lieux sont mémoire, pourtant « personne ne sait plus rien, il n'y a plus de mémoire de l'île »,déclare Pierre.
Zelda, « la petite chatte noire »,sait manifester sa présence quand la conversation s'anime.
Le questionnement sur la fugacité du temps, «  le zapping des sentiments», les réseaux sociaux sur le net qui rendent les liens avec autrui virtuels sont au coeur du roman.

Avec une plume d'épéiste , l'auteur signe une satire du monde politique et médiatique actuel: les magouilles éditoriales, les journées spéciales , les manifestations pour la retraite, les banquiers « tous des canailles ». Il étrille la situation de la France contemporaine: « ce pays décadent qui manifeste et qui ne veut rien foutre » pour Marc.
Il dénonce ce Paris Plage qui draine des individus peu fréquentables.
Il fustige ceux qui ont une prédilection pour le gore et la presse toujours à l'affût du sensationnel.

Si la culture va à vau-l'eau, Frédéric Vitoux témoigne d'une vaste culture cinéphile et littéraire. Il nous gratifie d'une pléthore de références et d'une lucide définition de la culture: « c'est d'abord ce qui reste quand on s'est mis à l'abri de l'écume de l'actualité, laquelle vous éclabousse et vous empêche de voir ».

Frédéric Vitoux se montre aussi habile dans l'art du portrait , du suspense que dans la peinture de Paris à deux époques. Son évocation de l'île Saint-Louis est teintée de nostalgie.
Comme Amélie Poulain a mis en exergue un arrondissement de Paris, pourquoi ne pas initier une déambulation littéraire sous la houlette de Frédéric Vitoux, arpentant les quais , les ponts de Paris?
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