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Critique de Amakir


Amakir
10 septembre 2019
"Sur son cahier elle a écrit je ne serai pas récidiviste, une incantation plutôt qu'une certitude. Elle voudrait y croire. de toute façon, c'est bien connu, il ne faut jamais recongeler un produit décongelé."

Je suis peu optimiste quant à la guérison d'une anorexie. Comme la protagoniste, Laure, j'aimerais y croire.
J'ai commencé ce roman pour un départ en voyage sac à dos, où mon livre broché n'a pas trouvé sa place géographique et m'a sagement attendue.
Un hasard ? Non, je connais l'autrice pour l'avoir souvent lue. Elle m'inspire. J'aime sa délicatesse et son humour. J'aime ses images toutes en couleur sur des sujets graves. Je voulais un livre de poche très petit format pour m'accompagner. J'ai l'esprit pratique.
Ce roman m'a suivie partout, dans les temples, les marchés, le bus, le métro mais aussi tous les restaurants. J'ai divinement mangé pendant mon périple. Avec le récit d'une jeune femme anorexique posé à côté de mon repas.

Les personnes atteintes de cette maladie aiment également les bons petits plats. Elles sont souvent de divines cuisinières et collectionnent les recettes. Pour les autres.

Nous avons souvent connu ou rencontré quelqu'un qui souffre d'anorexie ou qui se rapproche de ce déséquilibre. Des amis.es, des collègues, de la famille.
Je suis danseuse amatrice depuis l'âge de 30 ans. Des jeunes filles à la recherche d'un poids qui n'est idéal que dans leur tête, j'en ai vues et croisées.
Il y a 20 ans, j'ai reçu une copine chez moi deux jours, j'ai constaté sa façon de préparer la texture de ses aliments avant de les mettre en bouche. Tout est calculé. J'ai entendu, j'ai observé et senti. Je lui ai demandé gentiment "Pourquoi te fais-tu du mal ? Que t'est-il arrivé ?" Elle a fondu en larmes dans mes bras et m'a parlé plus de 6 mois après.

L'anorexie me semble être une façon détournée de rendre son corps culte. J'ai également le culte du corps. Par cette similitude, j'arrive à comprendre le déraillement.
Un corps que j'ai appris à écouter. Aujourd'hui.
Hier je le comprenais si mal. Par la danse notamment. Il y a ce moment où une discipline sportive prend le dessus sur l'entendement, quelque soit votre niveau. Comme une maladie addictive.
L'hormone du plaisir crée une dépendance. Toujours plus. Cette période où vous ajoutez d'autres activités afin de gagner en performance ou en souplesse. Tel un être qui décide peu à peu de ne plus s'alimenter.
Il y a 3 ans, je me suis blessée à la course. Rien de grave. Arrêt de la danse et de tous les autres sports pratiqués. Repos pendant plusieurs mois et reprise en douceur sur deux ans, avec une formule différente.

J'ai réappris à vivre. A l'écoute.
Mon meilleur souvenir de danse n'est pourtant pas le plus technique. le jour où j'ai fait pleurer une grande danseuse et amie qui assurait le cours. Par ma qualité de mouvement et ma générosité sur une improvisation en contact.
Pina Bausch aimait mettre en scène des amateurs pour cette raison.
Je reprends la danse lundi prochain. Sereine et confiante.

Laure reprendra-t-elle le chemin vers sa liberté ?

À partir de quel moment le cerveau n'est plus en connexion avec votre corps tout en croyant fortement l'être plus que jamais ?
L'anamorphologie.

La souffrance de Laure s'écoute en musique. Je l'entends notamment sur une partition de Vivaldi interprétée par le choeur Accentus et dirigée par Laurence Equilbey. (Concerto n°4 en F minor RV297, inverno)
La légèreté du début de l'hiver qui commence par petites touches survoltées, se contracte dans un ensemble de plus en plus enlevé, puis se déverse en explosion de flocons tourbillonnants, pour finir par l'inéluctable fin de saison... et laisser place à un renouveau. Ou la mort.
Tel est le sort de cette maladie.

Laure je l'entends chanter sa plainte dans la chorale. La chorale d'un hôpital avec toutes ses douleurs.

Lu en septembre 2019
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