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Critique de si-bemol


"J'irai cracher sur vos tombes" fut écrit en deux semaines - en août 1946 - par Boris Vian, sous l'identité du fictif romancier américain Vernon Sullivan, à la demande de son ami Jean d'Halluin pour sa toute jeune maison d'édition “Scorpion” qui recherchait alors des oeuvres dans la veine des romans noirs américains, et le texte fut conçu comme un pari à la fois littéraire et commercial - l'idée étant de susciter le même scandale et les mêmes rentrées financières que le “Tropique du Cancer” de Henry Miller qui venait de paraître aux Etats Unis.

Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que le sexe et la violence - ingrédients incontournables du roman noir américain - soient au coeur de ce roman de Boris Vian, ou plutôt de Vernon Sullivan. Pourtant, Vian va bien au-delà du canular et du simple pastiche à vocation commerciale et construit ici une véritable oeuvre littéraire dont l'intérêt perdure par-delà le parfum de scandale et la curiosité suscitée par sa censure et la condamnation de son auteur. Car le sexe et la violence qui lui furent alors reprochés au nom de la morale et de la bienséance n'ont certes là rien de gratuit ni d'aguicheur.

“S'il n'y avait pas de rapports sexuels entre les Blancs et les Noirs, il n'y aurait pas de métis, il n'y aurait pas de problème”, déclara Boris Vian à propos de "J'irai cracher sur vos tombes" lors d'un entretien radiophonique en 1959. Et c'est bien là, effectivement, que se situe le problème, dans le roman comme dans cette Amérique puritaine, raciste et ségrégationniste de l'immédiat après-guerre aux yeux de qui le peuple Noir, à mi-chemin de l'esclave et de l'animal, ne saurait appartenir pleinement à la race des humains.

Avec ce texte délibérément transgressif, dérangeant et brutal qui brandit la provocation jusque dans son titre, avec le personnage de Lee Anderson, sa rage froide et sa haine, son immoralité et la violence de sa vengeance, Boris Vian - bien loin de toute pornographie facile et racoleuse - proclamait alors au monde, et particulièrement aux Etats Unis où le livre fut immédiatement interdit, sa révolte et sa colère face au traitement infligé à tout un peuple, lui qui vouait un tel amour à une autre Amérique - celle de ses grands auteurs, de ses cinéastes, de ses joueurs de blues et de ses jazzmen afro-américains.

Un grand livre où l'on retrouve le meilleur de Boris Vian : son écriture, son intelligence et l'intransigeante pureté de son insoumission et de ses engagements.

[Challenge Multi-Défis 2020]
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