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Critique de Lamifranz


Pour qu'un livre vous bouleverse, le nombre de pages importe peu. Pour ma part j'ai eu des émotions très fortes avec « Guerre et paix », ou » le Docteur Jivago », ou pour rester français avec « Les Misérables » ou « Germinal » (pour donner quatre exemples « classiques ») j'en ai eu également avec des livres qui n'étaient pas des pavés, comme « Terre des hommes » ou « Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur » ou plus près de nous « Un long dimanche de fiançailles » ou « Ensemble c'est tout » … Vous me direz, c'est affaire de sensibilité, nous ne réagissons pas de la même façon devant les mêmes choses, et puis c'est la force, l'intensité de ce qui est écrit qui compte. Et vous aurez sans doute raison.
Voici un exemple de texte court, très court (34 pages très exactement) qui vous cloue à votre fauteuil, vous prend aux tripes et vous oblige non seulement à vous poser des questions, mais encore à trouver en vous des réponses…
Werner von Ebrennac est un officier allemand que les circonstances de la guerre obligent à se loger chez un vieil homme, le narrateur, qui vit avec sa nièce, une jeune fille. Werner est jeune, beau, cultivé, musicien, il met un point d'honneur à garder une courtoisie absolue, il bannit toute attitude de conquérant ou d'occupant. Bien au contraire, il parle de son amour pour la France, en tant que pays, nation et surtout en tant que culture. Face à lui il ne trouve qu'un mur de silence. Pas d'hostilité, rien que du silence. C'est une forme de résistance, farouche, à la fois impitoyable et absurde. L'officier peut d'un geste y mettre fin. Mais il ne le fera pas, il a une hauteur d'âme, un besoin de fraternité qui lui interdit toute violence. Cette situation est pathétique, car c'est une impasse pour les trois personnages. Pour l'officier d'abord qui voit ses efforts de conciliation réduits à néant. Et aussi pour l'oncle et la nièce qui n'ont rien à gagner dans cette attitude : la « victoire » de le voir partir à la fin de la nouvelle a un goût amer.
Il y a silence et silence. Celui qui préside ici, plus que le silence neutre est peuplé de non-dits. On sent qu'il suffirait de peu d chose pour que la situation se débloque. En écoutant les monologues de Werner, on ne peut qu'être ému de cette constance à essayer de tenter un dialogue (indirect, car il ne s'adresse jamais personnellement à ses interlocuteurs) et cet entêtement à se taire de l'oncle et de la nièce (qui par effet de miroir renvoie à l'entêtement à parler d'Antigone, aussi absurde, aussi inutile) est également émouvant dans sa puérilité.
Car peut-on parler de résistance passive dans ce cas de figure ? le fait que la nouvelle ait été éditée en pleine Occupation par des combattants de l'ombre, pousse certes à accepter cette explication, mais en y regardant bien, nous avons ici une situation qui pour être hautement dramatique, est assez peu crédible : un officier allemand de cette culture et surtout animé de cette envie de partage, peut-il accepter le travail qu'il fait ? L'oncle et la nièce sont-ils conscients de jouer avec le feu ? Il suffirait qu'un autre allemand entre dans la pièce pour qu'ils soient obligés de briser le silence.
On peut peut-être voir les choses un peu différemment, comme un appel pacifiste (Vercors, avant la guerre et jusqu'à ses débuts dans la Résistance, était foncièrement pacifiste) qui malheureusement tombe à plat pour cause d'intransigeance ou pour le moins d'incommunicabilité.
Finalement ce qui nous émeut profondément, ce qui donne à cette nouvelle sa grande force émotionnelle, c'est que l'auteur déclenche en nous une grande pitié pour ces personnages, pour lesquels on aurait souhaité certainement un meilleur sort.
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