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Critique de berni_29


Éloignez, je vous prie, les enfants de votre écran d'ordinateur durant quelques minutes, je vais vous parler d'érotisme... Comme il m'arrive de raconter parfois des histoires du mercredi pour des élèves d'une certaine classe de CE2, je ne voudrais pas que ma réputation prenne un méchant coup dans les choses de la vie...
Créé par les Avocats du Diable, le Prix de la Nouvelle Érotique propose un nouveau défi littéraire : écrire en un temps restreint, durant la nuit la plus longue c'est-à-dire aussi la veille de la Journée mondiale de l'orgasme, une nouvelle inédite en respectant la double contrainte d'un contexte et d'un mot final. Ma candeur sur le sujet allait jusqu'à ignorer l'existence d'une telle date. Cette performance littéraire s'accompagne d'une double contrainte (contexte de situation et d'un mot final, afin d'obliger chaque participant à développer un imaginaire de circonstance). Cette sixième édition s'est déroulée dans la nuit du 19 au 20 décembre 2020. La double contrainte, tirée au sort, était cette fois-ci « soigner le mal par le mâle » et le mot final « enfer ». 165 nouvelles ont été reçues au petit matin. Après un an de lecture passionnée menée par le jury officiel assisté d'un comité de lecteurs avisés, le Prix de la Nouvelle Érotique 2021 a été attribué à une lauréate le vendredi 18 juin 2021 : Perle Vallens pour sa nouvelle Toucher à la hache. Voilà pour les présentations !
Je vous avoue n'avoir jamais été friand de littérature érotique. Faire de ce genre une spécialité relève selon moi davantage de l'exercice de style que de la littérature. Et souvent l'écriture manque de beauté et de nuance... du reste, de magnifiques oeuvres littéraires ont parfois convoqué avec délice de doux et excitants passages érotiques. À ce titre, je ne résiste pas à vous évoquer un de mes personnage féminin préférée, Emma Bovary. Dans Madame Bovary, Gustave Flaubert use de ses talents d'écrivain pour contourner avec audace la censure de l'époque et nous planter une succulente scène érotique qui ne dit pas son nom. En effet, rappelez-vous. La relation amoureuse et clandestine d'Emma Bovary avec un certain Léon Dupuis, permet d'offrir, selon moi une scène à la fois cocasse, coquine et finalement d'une portée profondément érotique par la mise en situation : c'est celle du fiacre qui n'en finit pas de sillonner les rues de Rouen avec le couple adultère à son bord. Nous pouvons imaginer aisément ce qui se passe et pourtant aucun mot direct n'y fait allusion à proprement parler. Ici le procédé du style permet au contenant de révéler le contenu. Cette scène m'a fait penser à la scène finale d'un film d'Hitchcock, la Mort aux Trousses, qui pour contourner la censure du maccartisme, suggère la scène érotique qui s'apprête à se dérouler dans un compartiment du train entre les deux héros du film, par la vision des pistons de la motrice lancée à vive allure et de la locomotive pénétrant alors dans un tunnel. Je vous laisse imaginer la métaphore…
Marcel Proust, aussi, nous régale dans Sodome et Gomorrhe par de belles métaphores érotiques, comme celle mêlant le bourdon à l'orchidée dans cette truculente rencontre entre le baron de Charlus et Jupien...
Mais je diverge... Et vous m'attendez avec frénésie et impatience sur le sujet...
Cependant, c'est bien sur le défi d'un exercice de style que repose ce recueil de nouvelles, Toucher à la hache. C'est la critique de mon amie Nico (@NicolaK), - que je remercie au passage, qui m'a invité à sortir de ma zone de confort pour pénétrer en terre inconnue et découvrir ainsi ces textes coquins, audacieux, cocasses, parfois dérangeants aussi, qui portent un regard singulier et sans entrave sur le monde et sa sexualité...
C'est un recueil à effeuiller du bout des doigts, à lire d'une main attentive et émoustillée, tandis que l'autre main distraite tente de deviser sur l'avenir de l'humanité.
Ces dix nouvelles sont de factures et de styles différents. Souvent les auteurs n'y vont pas par quatre chemins et appellent un chat un chat. Oui, j'ai bien dit un chat... Je vous vois déjà venir avec vos yeux de minous, je n'aurais pas dû vous mettre l'eau à la bouche en vous parlant de métaphores... Cela dit, c'est sans doute ce que je reproche à la littérature érotique, sa trop grande crudité peut-être, bien que je ne sois pas né de la dernière pluie...
Étant un incorrigible romantique, j'aime aussi découvrir en littérature le goût des préliminaires... J'aime me laisser prendre par les mots, ceux qui effleurent, qui caressent, qui s'immiscent, qui précèdent le geste, ceux qui s'arriment au bord du vide.
J'aime ces instants fragiles comme lorsqu'on déballe soigneusement un cadeau de Noël pour faire durer le plaisir de la découverte, ou bien lorsqu'on sort une tablette de chocolat de son emballage d'aluminium et qu'on savoure déjà la gourmandise à venir.
Je me suis laissé emporter par certaines nouvelles, plus que par d'autres. J'ai découvert la pépite au tournant des pages, le bonbon, la friandise, la péninsule, le joyau, la chosette, le bijou, le tison, le casse-noisettes, la mignardise, le matou, la cerise... Et j'ai trouvé des qualités incontestables d'écriture.
La première nouvelle au titre éponyme, écrite par Perle Vallens et qui a remporté le prix, m'a touché par la grâce de sa douleur. Il y a une infinie solitude dans ce texte, évoquant « l'invisible attrait des corps et des âmes ».
Ou bien encore Rêves de marbre d'Isabel Garcia Gomez, qui évoque avec émotion et cocasserie la rencontre au musée du Louvre et le désir d'un homme pour une statue, un corps de marbre, immobile, d'un autre temps, celui de l'Hermaphrodite endormi... C'est un texte qui ne m'a pas laissé de marbre.
Ou bien enfin, Un homme attaché de Selma Bodwinger, pour les amateurs de musique classique comme moi, que les doigts de fée d'une harpiste ne laisseront pas indifférents.
Même si d'autres me sont tombés des mains, il y a dans certaines de ces nouvelles l'émotion des premières fois, la saveur d'un fruit défendu, des paupières ourlées de songe qui attendent le désir, tandis que le vertige plus tard nous fait entrer dans sa lumière oblique, comme une saison en enfer... Si la littérature érotique ressemblait à cela, je viendrais lui rendre visite plus souvent.
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