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Critique de kielosa


Steven Uhly, né à Cologne en 1964 d'une mère allemande et d'un père bengali, occupe une place spéciale dans la littérature allemande. Serait-ce à cause de son origine à moitié hindoue ? En tout cas son ouvrage "Le royaume du crépuscule" est une oeuvre fort ambitieuse : couvrant une période de 43 ans d'histoire, de 1944 à 1987, en 622 pages, avec heureusement un index des personnages historiques en fin de volume. Parmi lesquels, un seul Français, Georges Bidault (1899-1983), un chef d'État David Ben Gourion (1886-1973), un grand témoin italien Primo Levi (1919-1987) et une athlète américaine Wilma Rudolph (1940-1994).

Ayant été dans ma jeunesse un grand admirateur de la "Gazelle Noire" (son surnom), je commence contre toute logique par un mot sur Wilma Rudolph. le 17ème enfant d'une pauvre famille noire, qui a attrapé la polio à l'âge de 5 ans, ce qui aurait dû lui priver de l'usage de sa jambe gauche pour le restant de sa vie. À force de massages, d'exercices et surtout d'énormément de courage, elle réussit à marcher de nouveau et pensait que faire un peu de sport ne serait peut-être pas une mauvaise idée. Lors des J.O. de Rome de 1960, elle remporta 3 médailles d'or (100, 200 mètres et le relais) ! Elle avait 20 ans. L'année suivante à Stuttgart, la Gazelle Noire battait le record mondial du 100 mètres. Sa vie amoureuse ne fut, hélas, pas le même succès et après 2 divorces, elle éduqua seule ses 4 gosses. Frappée par un cancer du cerveau, elle meurt à 54 ans.

La première partie de cet opus est située dans le Wartheland - la partie de la Pologne annexée au Reich - au cours de l'hiver 1944-1945. Deux jeunes Juives y occupent une place centrale. Anna Stirnweiss, la bonne à tout faire du potentat local, le lieutenant-colonel Josef Ranzner, et qui au moment de l'invasion de l'Armée rouge est offerte la possibilité d'émigrer en Palestine. Et Margarita Ejzenstain, qui tue un officier SS pour se venger de la mort de son père et frère. Un couple de colons allemands cache la rebelle enceinte dans leur ferme et lui donne leur nom. Ainsi elle devient Maria Kramer et sa fille, née en décembre 1944, Lisa Kramer. le 12 janvier 1945, l'arrivée des troupes russes sonne l'heure du départ. Pour la nouvelle Maria ce sera un très bref voyage car elle meurt de froid en route.

Car il existe une autre Maria Kramer, la vraie fille de Wilhelm et son épouse, mais qui n'existe plus à leurs yeux, depuis qu'elle avait couché avec la moitié du village avant de partir, sans dire un mot, avec un soldat SS à Berlin. Leur fils, Karl, a rejoint comme volontaire les SS et est mort sur le front de l'Est. Finalement, Wilhelm est incorporé de force dans l'armée nazie, fait prisonnier par les Soviétiques et envoyé en Sibérie, à Prokopievsk, où il meurt. Ainsi, il ne reste que la petite Lisa et Mme Kramer qu'elle appelle mamie.

Le sort d'Anna se présente de façon bien différente. Abba Kovner, le Juif lituanien de l'armée russe, mais actif pour la Briha - une organisation non gouvernementale qui aidait les survivants de la Shoah à joindre la terre promise - et qui lui a laissé entrevoir un autre avenir, loin de cette terre où sa famille avait été exterminée, constitue un cadeau qu'elle ne peut refuser. D'autant plus qu'elle se rend parfaitement compte que si les Soviétiques découvrent pour qui elle a travaillé cela risque de signifier sa fin.

Ce qui m'a sidéré c'est qu'Abba Kovner n'est pas un personnage fictif du tout, mais un combattant, poète et écrivain israélien, né à Sébastopol en Ukraine en 1918 et mort d'un cancer dans un kibboutz en 1987. Un drôle de zèbre sur lequel je vais revenir dans un prochain billet, sur la base de sa biographie publiée l'année dernière par l'historienne israélienne Dina Porat "Le Juif qui savait. Wilno-Jérusalem : la figure légendaire d'Abba Kovner (1918-1987) ".

Toujours est-il qu'Anna et Abba ont une très brève liaison et que la jeune Allemande se retrouve enceinte pendant son transfert de camp en camp en attendant son bateau pour Haïfa. Un voyage qui ne s'avère pas simple à organiser vu l'interdiction par l'Angleterre de l'immigration juive en Palestine.
Le passage d'Anna dans des centres de réfugiés, permet à l'auteur de nous présenter plusieurs personnages typiques, comme par exemple Frau Abramowicz avec ses 3 petits enfants, dont le plus petit, un bébé, est tué par la chute de pierres de l'immeuble délabré où ils sont gardés. Ce qui entraîne chez elle une catatonie qui dure jusqu'au retour de son mari, qu'elle croyait mort.

Pour l'homme en charge des modalités pratiques de transfert des Juifs, Peretz Sarfati, sa rencontre avec la belle Anna signifie le coup de foudre de sa vie. Plus il y réfléchit et plus il l'aime. Comme il est disposé à accepter la paternité de son futur enfant, Anna répond favorablement à ses avances. Les deux se marient devant une grande foule et le 9 novembre 1945, une semaine après le mariage, naît Shimon Sarfati.

Chers ami(e)s, je crois avoir dégagé suffisamment d'éléments afin de vous permettre de déterminer si cet ouvrage est susceptible de vous intéresser et j'arrête donc, en toute tranquillité d'esprit, ici mon récit, tout en spécifiant que le récit de Steven Uhly, en revanche, est loin d'être terminé.

Encore un mot, toutefois, en hommage au théologien, poète et écrivain allemand, Joachim "Jochen" Klepper, né en 1903 et un des plus grands auteurs de cantiques du XXe siècle. Journaliste talentueux à la radio de Berlin et écrivain à succès, il commet, en 1931, selon les nazis, la "bêtise" d'épouser Johanna Stein, une veuve juive avec 2 filles. C'est le début de ses malheurs : renvoyé de la radio, interdit de publication et isolement. Il lui était psychologiquement impossible de quitter son sol natal, mais il réussit à faire partir Brigitte, l'aînée des filles, en Angleterre. Lorsque plus tard il essayait de faire pareil pour la seconde, Renata, Adolf Eichmann s'y opposa. La nuit du 11 au 12 décembre 1942, Jochen, Johanna et Renata se suicidèrent aux somnifères et au gaz. Juste avant Klepper avait écrit une émouvante lettre d'adieux qu'il avait confiée à un voisin et ami.

Le seul bémol de ce volumineux ouvrage, à mon avis, c'est que certains passages sont un peu longs. Si Steven Uhly avait manié davantage ses ciseaux, surtout dans la première partie, cette oeuvre incontestablement riche et puissante tant du point de vue historique qu'humain, y aurait sûrement gagné.
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