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Critique de berni_29


Dans les forêts de Sibérie est le récit d'un ermitage. C'est le carnet de bord d'un voyageur immobile. Après quelques folles pérégrinations sur les falaises maritimes, sur les crêtes des montagnes, dans les plaines slaves, ou bien sur le faitage des toitures vertigineuses, Sylvain Tesson décide de faire une pause de six mois au fin fond de la Sibérie, dans une cabane en bois, sur la rive occidentale du lac Baïkal. Ses voisins les plus proches sont à cinquante kilomètres. Tranquille, non ?
L'une des phrases que je préfère de ce livre est celle-ci : « La cabane est le lieu du pas de côté, le havre de vide où l'on n'est pas forcé de réagir à tout ». Loin du vacarme et de l'immédiateté de nos existences parfois vaines, constamment insatisfaites, ce pas de côté est un bain de jouvence.
Autant vous l'avouer tout de suite : j'ai trouvé ce livre magnifique. Je voudrais me dépêcher de vous donner mille raisons d'aimer ce récit, mais l'empressement ne convient pas ici. Alors, prenons juste le temps de poser par quelques touches furtives, des impressions ici et là, picorons ensemble ces instants précieux un peu comme le fait la mésange, dont l'auteur fit la rencontre éblouie lors de sa retraite de six mois.
Dans ce recours à la solitude, Sylvain Tesson emporte notamment des cigares et une cargaison de livres et de vodka. Avec ironie, il avouera que cette pause de six mois avait pour vertu de rattraper quelques lectures en retard. Amis lecteurs, maintenant vous savez ce qu'il faut faire pour alléger vos piles de livres qui ne cessent d'enfler à force de coups de coeur multiples...
Ce paysage géographique et intime étant posé, l'auteur nous invite sur la rive du temps, aux abords de « la virginité du monde » tel qu'il nous le dit, nous sommes prêts à y entrer avec lui, à nous déposséder de tout désir, car c'est ainsi que s'exprime l'invitation, c'est ainsi qu'est défini le contrat.
J'ai aimé cette façon qu'a Sylvain Tesson de poser ses valises au fond de cette cabane en bois, appréhender pour la première fois ce paysage immense autour de lui, perdu parmi les cèdres du Nord.
Mais l'immobilité permet aussi de poser le regard sur ce qu'on oublie de voir dans nos existences bruyantes.
Apprendre à s'asseoir devant une fenêtre, avec un thé fumant.
Apprivoiser une mésange.
Suivre dans la nuit la trajectoire de la lune.
Etre nu et courir dehors à -33°C.
Écrire des haïkus dans la neige, écriture éphémère disant la vie comme elle est, comme elle passe.
Vider des litres de vodka et puis pisser devant la nuit.
Oublier l'avenir.
Pleurer aussi, non pas de chagrin ni de tristesse, pleurer tout simplement devant l'immensité du monde, devant sa propre immensité, qui est là béante, brusquement, aux portes de cette cabane sibérienne.
Et puis habiter le silence. Habiter l'instant présent, ne plus se préoccuper de l'instant d'après, de demain, de l'avenir. L'immanence de l'instant devient un joyau précieux. Une jubilation.
Ce retrait provisoire n'est pas un enfermement mais au contraire une ouverture, un recours au bonheur, par un chemin différent de celui auquel nous sommes habitués. Ici ce n'est pas fuir, mais se retrouver tout simplement.
Dans sa cabane, derrière sa fenêtre ou bien dehors, marchant sur le lac gelé, les heures trépidantes défilent où l'oeil de l'auteur ne se lasse jamais du spectacle merveilleux qu'il découvre et contemple.
Il dit : « plus on connait les choses, plus elles deviennent belles ». Comme c'est vrai !
Nous sommes dans la virginité de l'instant et l'auteur, sans pourtant nous donner de leçons, nous apprend à la découvrir, à l'aimer, à ne pas s'en effrayer. Car cette virginité de l'instant peut faire peur à certains de nos contemporains...
Dans cet ermitage, les journées sont façonnées de pêche, de bûcheronnage, de longues marches dans les neiges silencieuses, de lecture, mais aussi de multiples gorgées de vodka, seul ou avec les quelques amis qui passent de temps en temps : Youri, Sergueï, Natasha...
Dans ce récit, j'ai aimé que Sylvain Tesson m'amène, le temps d'un livre, à poser mon regard sur l'autre rive. Celle qui m'attend peut-être à quelques portées de mains...
Puis, six mois plus tard, le soleil est de retour, les canards sauvages aussi. Après cela, il faut bien repartir vers les villes.
Mais peut-être que notre regard aura changé, ne serait-ce que sur nous-mêmes.
Continuer de s'asseoir devant une fenêtre, ici ou là, avec un thé brûlant ou une vodka, qu'importe.
Nous refermons le livre. Si la forêt sibérienne est désormais loin de nous, il y a peut-être une dune bretonne d'où contempler l'océan avec le même regard que nous propose Sylvain Tesson, même si ce n'est pas un ermitage de six mois, une façon de regarder vers l'horizon et en même temps si près au-dedans de nous-mêmes. Faire ce pas de côté...
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