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Critique de lecteurbretonetplus


Patti Smith a toujours été une artiste avec de nombreuses cordes à son arc : chanteuse, poète, peintre, photographe, écrivaine… Avec M Train, en évoquant sa vie dans le début des années 2000, elle élargit encore l'éventail de son talent si particulier.

Le livre est composé de chapitres apparemment disparates, entre New-York et les nombreux endroits où elle est allée de par le monde, au hasard des occasions, de ses désirs, de ses engagements, de ses admirations, de ses amitiés. le récit est survolé par l'ombre de son mari, son époux le guitariste Fred « Sonic » Smith , mort brusquement en 1994, suivi par celle de son frère, Todd. Mais elle n'écrit pas vraiment un livre de mémoire. Elle annonce son intention : « Ce n'est pas si facile d'écrire sur rien. »

Oui, ce livre est une évocation du rien, ce rien qui ouvre à d'autres réalités moins superficielles, plus intérieures, plus profondes. Ce livre est un aller-retour toujours recommencé entre la réalité et l'outre réalité, ce beau surnom que le poète français d'origine libanaise Salah Stétié donne à la poésie. de chapitre en chapitre, de voyage en voyage, de rencontre en rencontre, c'est par le banal que Patti Smith commence, sa surconsommation de café, son addiction aux séries télévisées, son chat, son manteau noir usé… de chapitre en chapitre, elle évoque son passé, mais pas celui « sex, drug & rockn'roll » qu'elle avait décrit dans son livre précédent « Just Kids » qui révélait déjà son talent littéraire.

De ce quotidien plutôt banal, Patti Smith s'en détache pour évoquer quelques passages de sa vie qu'elle avait photographiés avec son vieux polaroïd, photos à la fois prosaïques, délicates, tremblantes. le récit se fait mélancolique : « Insensiblement, je m'enfonce dans un malaise persistant. Non pas une dépression, davantage une fascination pour la mélancolie, que je retourne dans ma main comme s'il s'agissait d'une petite planète, striée de bandes d'ombre, d'un beau impossible ». Au point de constater que « (…) sans aucun doute, notre réalité éclipse parfois nos propres rêves. ».

Ce livre est celui du passage continuel entre la réalité, celle du moment présent, celle de ses souvenirs et de ses rencontres, et les rêves, encore que ce mot soit trop précis pour évoquer l'impalpable d'où éclot toute la poésie de ce texte. Elle évoque de façon disparate ses souvenirs privés, ses rencontres avec d'autres grands, comme Murakami, ses révérences à des disparus comme Virginia Wolf, Mishima, Frida Kahlo, Jean Genet… L'écriture devient sa seule exigence « J'écris avec ferveur, telle une élève à son pupitre, penchée sur son cahier de rédaction, composant non pas pour produire ce qu'on lui demande, mais pour assouvir un désir. »

L'écriture lui donne le moyen de la dépossession, de l'abandon. Sorte d'entrée initiatique dans la vieillesse qu'il faut finir par accepter, voire chérir. Elle en perd son fameux manteau noir. « Aria pour un manteau. Requiem pour un café. Voilà ce que je pensais, dans mon rêve, en contemplant mes mains ». C'est ainsi que le livre s'interrompt.

Patti Smith rappelle ainsi de manière méditative, mélancolique et poétique que vieillir est le moment de l'abandon, du lâcher-prise, du manque que l'on tente de compenser par le souvenir, le désir de la mémoire, un moment privilégié où l'outre-réalité peut s'ouvrir et s'épanouir.
Lien : http://jmph.blog.lemonde.fr/..
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