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Critique de Alzie


Alzie
14 février 2020
De la prose, quelques vers et chansons pour cette comédie en cinq actes que la présentation bilingue récente et soignée des Belles Lettres permet de découvrir ou de relire avec beaucoup de plaisir. Cécile Ladjali offre au texte français une forme versifiée libre au rythme très enlevé, tout à fait appropriée aux intrigues qu'on y rencontre, à mettre en parallèle avec la traduction plus classique de J. Supervielle dont je dispose dans la Pleïade (nrf, Gallimard, 1959). Pièce taxée de secondaire dans l'oeuvre de Shakespeare et on s'en fiche. Adaptée librement par lui d'un roman de Thomas Lodge, lui-même inspiré d'un conte attribué à Geoffrey Chaucer. Comme il vous plaira (As you like it) commence sur le ton de la tragédie. Premier acte, à la cour du duc usurpateur Frédéric, qui a contraint son frère aîné à l'exil dans la forêt d'Ardennes, et dans le sillage duquel l'affrontement de deux autres frères ennemis, Olivier et Orlando, devient l'illustration brutale de la tyrannie nouvellement installée. Olivier l'aîné conteste en effet à son cadet Orlando tout droit à l'héritage paternel (leur père Sire Roland des Bois était un fidèle du duc banni) ; et non content d'avoir réduit Orlando à l'état de valet, Olivier prévoit même de le faire liquider lors d'un combat avec le lutteur du nouveau duc Frédéric.

L'attachement réel et sincère entre Célia (la fille de Frédéric) et Rosalinde sa cousine (fille du duc banni) retenue à la cour par l'oncle usurpateur apporte un contrepoint apaisant aux rivalités viriles et meurtrières dont elles veulent écarter Orlando ! Sa victoire inattendue dans le tournoi organisé à ses dépens par l'usurpateur change évidemment la donne. Orlando indésirable doit disparaître rapidement du duché tandis que Rosalinde, victime collatérale vers laquelle il portait déjà ses regards énamourés, est bannie à son tour. Un commun stratagème va permettre aux deux inséparables cousines de s'en aller rejoindre sans danger le cercle vertueux des exilés de la forêt d'Ardennes en compagnie de leur bouffon (Pierre de Touche) – l'une déguisée en page de Jupiter (Rosalinde/Ganymède), l'autre se faisant passer pour sa soeur (Célia/Aliéna). Elles y retrouvent bientôt Orlando et son vieux serviteur Adam...

Comme il vous plaira alterne et oppose deux scènes, scène de cour et scène champêtre, et deux atmosphères. C'est le charme de cette traduction d'en faire ressortir quelques nuances subtiles. La cour, siège du pouvoir usurpé, dominée par Frédéric, lieu de discordes ou de complots fratricides, de vanités ou d'ambitions, que fuient Orlando, Rosalinde et Célia et la forêt d'Ardennes, accueillante aux exclus, le duc banni compagnons et serviteurs auxquels se joint le jeune trio à l'acte II. La comédie reprend alors ses droits et déploie ses divers jeux amoureux entre légèreté et gravité au coeur d'une sylve protectrice et rédemptrice à la fin. Dans ce refuge bucolique riche des bruissements de tous les malentendus et quiproquos, après bien des rebondissements, chacun récupèrera ou trouvera sa chacune y compris l'infâme Olivier. Ganymède profite de son apparence de page pour s'occuper d'Orlando qui ignore avoir affaire, sous le déguisement, à la malicieuse et futée Rosalinde dont Phébé, la bergère, tombe aussi amoureuse avant de retrouver son berger. Etc.

[…] Ici loin du tumulte du monde,
On découvre que les arbres nous parlent,
que les rivières regorgent d'ouvrages,
que les pierres nous livrent des sermons,
et que partout règnent le bel et le bon.”
(Duc aîné, Acte II, sc. 1, p. 87)

Mais l'un des personnages les plus emblématiques de l'oeuvre dont le duc banni recherche et affectionne la compagnie ironique et distanciée sous les arbres est Jacques dit le mélancolique. Sensible au malheur du grand cerf blessé (Acte II, sc. I) ou considérant et regrettant plus loin la chasse et l'usurpation par leur communauté sylvestre du territoire des animaux (p. 93). L'homme est-il cet éternel usurpateur ? Cette voix différente descendue des profondeurs d'une forêt lointaine donne au texte quelques échos plus actuels. Comme il vous plaira diffuse me semblet-il une vision sans illusion sur la condition et la société des hommes dont le théâtre est aussi la métaphore :

“Le monde entier est un théâtre :
Hommes et femmes y sont de simples acteurs,
Ils ont leurs entrées puis
leurs sorties. […]
(Acte II, sc. VII, p. 145, début de l'inoubliable tirade sur les sept âges de la vie).





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