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Critique de PedroPanRabbit


Nous sommes 1892, dans la petite bourgade de Fall River, perdue dans le fin fond du Massachussetts. Cette matinée caniculaire du 4 Août marque le début d'une nouvelle journée "ordinaire" dans la maison des Borden : le père rentre du travail et va faire une sieste dans le salon, son épouse et belle-mère des enfants prépare la chambre d'ami pour la visite du beau-frère de son époux, L'aînée de 42 ans Emma s'offre quelques jours chez une amie, la cadette de 32 ans Lizzie ère comme un fantôme dans la maison, et Bridget la gouvernante irlandaise se repose après sa besogne épuisante. Puis voilà que Lizzie hurle : elle vient de trouver son père assassiné à coup de hache, à même le canapé du salon. Quelques heures plus tard, alors que la police et le médecin de la ville arrivent sur les lieux, c'est Mrs Borden qu'on retrouve dans un bain de sang à l'étage. Emma, dévouée et toujours sérieuse, revient de son voyage pour prendre la fragile Lizzie sous son aile, bien qu'une question persiste : alors que toute la demeure des Borden était verrouillée de l'intérieur, comment un assassin a-t-il pu entrer pour commettre ces méfaits?... Ou alors, qui à l'intérieur de la maison a commis de meurtre...? La police inculpe Lizzie, qui entre dès lors dans la légende...

... Car ce sanglant mais véridique fait-divers, qui a défrayé la chronique aux Etats-Unis, est resté profondément ancré dans la culture populaire américaine. Comme toutes les grandes affaires criminelles historiques qui suscitent encore aujourd'hui la curiosité des spécialistes comme des amateurs, l'histoire de Lizzie Borden a fait couler beaucoup d'encre et on spécule encore sur le mobile de la jeune femme, qui fut finalement acquittée au bout d'un an de procès avant de mener une vie tumultueuse et on ne peut plus mystérieuse. Ce qui scandalisa tout le pays lors de sa libération, c'est que rien, pourtant, ne penchait en sa faveur, si ce ne sont les jurés qui semblaient croire "une jeune femme incapable de telles horreurs".

Après deux longs-métrages (dont un dans les années 70 avec Elisabeth "Ma Sorcière Bien Aimée" Montgomery, qui n'était autre qu'une descendante de Lizzie Borden!), une série télévisée, et plusieurs ouvrages documentaires, biographiques, ou fictionnels, Sarah Schmidt en fait le thème de son premier roman. Et quel premier roman! L'auteure australienne signe ici un pur bijou de littérature. Si elle suit méticuleusement les faits historiques et rapportés par l'enquête menée en 1892, elle leur insuffle un souffle inédit, un nouvel éclairage romanesque, et une narration on ne peut plus audacieuse.

En effet, Sarah Schmidt nous raconte cette tragique journée du 4 Août 1892 ainsi que les quelques jours qui l'entourent via les récits de Lizzie, Bridget, et Emma, qui se succèdent, s'alternent et s'entremêlent. En partant de la découverte du corps par Lizzie, puis en nous faisant faire au départ de cette "heure zéro" des bonds quelques temps avant ou après au gré de cette macabre polyphonie, l'auteure permet au lecteur, lentement mais sûrement, de relier entre eux les différents éléments qui émergent de chaque discours.

Les personnages se racontent et son racontés avec un réalisme criant de vérité que vient renforcer la narration à la première personne. Lizzie, celle étrange femme-enfant orgueilleuse et cleptomane qui ère tel un spectre dans les couloirs de la vaste demeure familiale, Emma, la soeur aînée qui alterne entre l'amour maternel à l'égard de sa cadette et la haine de devoir éternellement tout sacrifier pour elle, et Bridget, yeux et oreilles de la maison et dont la position de domestique permet de poser le regard peut-être le plus juste sur cette étrange famille.

Car au-delà du fait-divers à l'origine du roman, c'est avant-tout une histoire de famille que nous sert Sarah Schmidt. Elle nous la relate dans ce qu'elle peut avoir de plus ambigu, de plus malsain, et ce en instaurant une ambiance lourde, étouffante, voire même par moment répugnante. L'ambivalence réside jusqu'au style tellement propre, parfois même élégant, avec lequel elle nous raconte les miasmes des différents membre de la famille Borden, soumis sans aucune intimités aux effluves que laissent les uns et les autres dans leur sillage. Prisonniers avec eux de cette demeure toujours verrouillée, sous la chape de plomb de cet été caniculaire, et voilà que l'on sent presque la nausée poindre tandis que, sous la plume suggestive de l'auteure, l'on pense parfois déceler quelque ignoble secret de famille. La maison Borden devient, comme hantée par ses propres occupants, l'objet symptôme d'un mal qui ronge de l'intérieur...

En bref: En partant d'un célèbre fait-divers criminel, Sarah Schimdt offre une interprétation romanesque inédite dans sa construction et sa narration, mais en même temps profondément véridique dans l'expression des passions ou des sentiments de répulsion mêlés. En articulant son récit polyphonique à la façon d'une pièce dramatique (unité de lieu, de temps, et d'action - à peine complétée d'un petit saut de dix ans dans le futur) que recouperait une intrigue policière, elle signe un huis clos familial macabre, intime et dérangeant mais réellement brillant qu'on ne lâche qu'une fois achevé. Un petit bijou de noirceur qui n'est pas sans évoqué Shirley Jackson et son Nous avons toujours habité le château, à découvrir d'urgence.
Lien : http://books-tea-pie.blogspo..
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