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Critique de dourvach


Rendons grâce à la verve de Christophe ROUET : il a élevé sa Cathédrale ou plutôt sa Crypte magistrale. Comme on sait, "Un rêve est un terrier aux multiples entrées", et nous voici lancés sur ses traces — tels d'intrépides professeurs van Helsing — à la poursuite des "Strigoï"... (ces non-morts à haute contagiosité : ne peut-on parler de pandémie secrète ?)

Lâchés, oui ! ... tels des chiens errants (et un peu inquiétants), du Cimetière parisien du Père-Lachaise aux blanches stèles cyclopéennes du Highgate Cemetery, en passant par les tours ruinées de Slains Castle (Scotland) dont la désolation en surplomb de hautes falaises moussues inspira tant Abraham "Bram" STOKER, jusqu'au souvenir du vaisseau "Demeter" en perdition, s'échouant face aux ruines de l'Abbaye de Whitby (là où aimait se rendre, sur son banc de Clair de Lune, la si tendre Lucy)...

Wolfgang GOETHE et son touchant poème "Die Braut von Korinth"... mais aussi ce roman gothique alors sous-estimé que fut la "Carmilla" de l'irlandais Sheridan LE FANU... puis le presque anonyme roman-feuilleton aux 232 chapitres "Varney the Vampire or The Feast of Blood", "variously attributed to James Malcolm Rymer and Thomas Peckett" (vendu de 1845 à 1847 sous forme de "serial" puis de "book" sous-titré "a romance of exciting interest") : celui-ci servit de modèle à l'épais roman de STOKER, "Dracula" (1897), très inattendu "succès de librairie" colossal qui fit de cette oeuvre et de son auteur des Mythes toujours bien vivants (ou plutôt "non-morts")...

Notre amie babéliote AuroraFlint nous révéla récemment l'existence d'un second modèle stokérien (peut-être ignoré et en tout cas non abordé par l'ouvrage de Chr. ROUET) : " Stoker s'est beaucoup inspiré pour son roman de celui de la Belge Marie NIZET, intitulé "Le Capitaine Vampire" (1879), au point où il a pu être qualifié de plagiat. En tout état de cause, "Dracula" a littéralement vampirisé l'ouvrage de Marie Nizet, tombé dans l'oubli, mais jadis réhabilité par l'historien franco-roumain Matei Cazacu, qui avait en effet publié une biographie du Dracula historique suivie du roman de Marie Nizet en 2004 chez Tallandier."

Suit un long voyage fantasmatique et ferroviaire dans les couloirs rutilants de "L'Orient-Express" (et là, nous ne sommes plus loin de la perte totale de nos repères, à mi-chemin entre le monde défunt d'Agatha CHRISTIE et de son cher Hercule Poirot, ou des charmes sans âge du film "L'Ami Américain" / "Der Amerikanische Freund" de Wim WENDERS), qui nous mènera bientôt au "Pays au-delà des Forêts" ("The Land beyond the Forest") la fascinante enquête ethnographique d'Emily GERARD dont la lecture fut conseillée à STOKER par son ami du club très select "Golden Dawn", un professeur de langues orientales d'origine hongroise nommé Arminius Vambery...

Ah, ces châteaux de "L'Empaleur", surnom favori du prince de Valachie régnant au XVème siècle, un certain Vlad "Țepeș" alias "Draculea" ("fils du Dragon" ou "fils du diable"), avec — sur ses portraits à charge ou non — ses foutus sourcils qui se rejoignent au-dessus du nez : un bougre de sinistre personnage d'autocrate toujours adulé — évidemment en binôme avec "L'Empereur Rouge", Nicolae Ceaușescu — par quelques citoyens s'échauffant encore au feu de liqueurs fortes et d'un nationalisme roumain jamais-mort... (« Mais le nat[z]ionalisme, c'est la guerre, bandes d'abrutis ! Et la Patrie, bien autre chose... », leur aurait répondu un Gandhi encore bien énervé, ce matin-là...).

La seconde moitié consacrée au voyage roumain est presque la plus passionnante : elle est un aboutissement pour le voyageur-rôdeur au Pays de ses cauchemars vénérés... Une bien belle leçon d'ethnologie quand un paysan vendeur de liqueurs vous confie "des choses" à l'entrée d'un cimetière oublié, entre chien et loup...

On sent de longues années de passion et de recherches en cet ouvrage magiquement illustré, y compris par quelques photos couleurs des voyages de son globe-trotter & auteur : ce dernier n'ayant visiblement pas hésité à prendre tous les risques, y compris celui de longues stations solitaires en quelque village roumain diantrement isolé — comme au Bord du grand Fleuve-Temps où, comme on sait, "Les Morts voyagent vite"... ("Denn die Todten reiten schnell"). Monsieur Rouet n'est donc pas roué et paye VRAIMENT de sa personne mais — fort heureusement pour lui et nous — pas au prix de son sang : il nous semble revenu parfaitement indemne (et fier de l'être) de son très Ulyssien "Voyage vers l'Au-Delà"...

Passionnante encore, l'évocation d'une longue lignée de cinéastes créatifs tels Friedrich Wilhelm MURNAU, Tod BROWNING, Terence FISHER, Werner HERZOG et Francis Ford COPPOLA pour leurs belles incursions dans le mythe vampirique... En dehors des ridicules roulements d'yeux de l'acteur Bela Lugosi d'origine hongroise, les évocations de la silhouette hallucinante de l'acteur Max Schreck en "Nosferatu" (1922) ou de ce "monstre réel" que fut Klaus Kinski sorti du plateau du remake herzogien de 1979 font encore froid dans le dos...

L'ouvrage était vendu 32 € à sa sortie en 2018, mais peut se trouver meilleur marché en quelque solderie [... me souvenant l'avoir acquis pour 7 € en m'arrêtant dans une station-service d'autoroute] ; on regrettera juste l'indigne feignasserie du correcteur des éditions De Borée qui laissa "parfois" (trop souvent) passer coquilles et fautes d'orthographe majeures... décrédibilisant ça et là (accidentellement et indûment) ce superbe ouvrage à l'iconographie inspirée ! L'Hexagone (ce de-plus-en-plus-tout-petit-pays qui "se la pète" toujours autant, néanmoins) est ainsi en passe de devenir ce très Plat Pays de l'amateurisme et du Baratin-cache-misères intégral : je ne saurais dire par quels "non-morts" il est mordu, parfois... Les dieux du Tout-Théorique ou les déesses de la Belle Paresse et de la Non-Exigence minimale ?
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