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Critique de Lucilou


Comment ne pas être conquise par cette toute nouvelle édition de "Laura, Lizzie et les Hommes-Gobelins" qui, si ce n'est son prix un peu onéreux tout de même, réunit tout ce qui sait me combler en littérature?
L'objet livre est en lui-même un petit bijou avec sa couverture brochée où se brodent sur l'écarlate des lettres d'or... C'est de la très belle ouvrage comme pour chaque parution d'un titre chez "La Ville Brûle", maison d'édition découverte avec le sublime "Je serai le Feu". le dénominateur commun de ces deux beautés constitue une autre des raisons qui concourent à faire de "Laura, Lizzie et les Hommes-Gobelins" un enchantement: il s'agit de Diglee, autrice et illustratrice dont j'aime la plume, l'engagement et les récits ("Ressac", "Atteindre l'Aube") autant que le pinceau et là, pour illustrer ce poème victorien, elle s'est encore surpassée, donnant à ses enluminures cette flamboyance préraphaélite et ce trait précis, riche et orfévré...
Il y a enfin le texte en lui-même, ce long poème victorien, méconnu et ambitieux de la non moins méconnue mais si fascinante Christina Rossetti qui bénéficie pour la présente édition d'une toute nouvelle traduction, libre mais fidèle, de Clémentine Beauvais.
Comment, alors, ne pas être curieuse? Conquise? Piquée?

Le livre s'ouvre sur un texte de Diglee dans lequel elle retrace la biographie singulière de Christina Rossetti, poétesse victorienne tombée dans l'oubli et muse préraphaélite (son frère n'étant autre que le peintre Dante-Gabriel Rossetti... ) dont l'histoire n'aura retenu pendant longtemps que l'opulente chevelure d'ébène. Elle fut pourtant bien plus et son oeuvre reste encore à redécouvrir tant elle recèle de richesse, de clefs, d'ambiguïtés et de beauté.

S'ensuit une préface de Clémentine Beauvais dans laquelle cette dernière défend sa traduction qu'elle veut "libre" et moderne mais fidèle pourtant à l'esprit du texte original. J'ai beaucoup aimé cet écrit que j'ai trouvé passionnant dans ce qu'il révèle de l'acte de traduction qui n'est jamais qu'une simple transcription et qui porte bien plus sans pour autant tomber dans le "traduttore, traditorre", en ce qu'il dit aussi des multiples vies d'un texte qui gagne en sens au fur et à mesure des siècles et des lectures, en ce qu'il défend l'idée qu'un texte finit par appartenir aussi à ceux qui le lisent…

Enfin vient le poème de Rossetti, faussement naïf. Laura et Lizzie sont deux soeurs qu'on imagine belles et innocentes. Sur le chemin de leur demeure, elles croisent quotidiennement des homme-gobelins, créatures effrayantes si ce n'est hideuses issues du folklore anglo-saxons qui leur promettent de leur vendre des fruits au gout de paradis, des fruits si délicieux qu'elles n'en gouteront jamais de meilleurs, des fruits dont elles ne s'affranchiront jamais de la saveur.
Laura se laisse tenter et dans la vallée succombe à son désir. Lizzie, elle, résiste mais n'hésitera pas à braver le danger que représentent les hommes-gobelins pour secourir sa soeur qui se meurt du désir de ces fruits si puissants.

La métaphore est à peine voilée et aussi troublante que possible. "Laura, Lizzie et les Hommes-Gobelins" parle de sexualité, du désir féminin, transgressif et réprimé, incompris et parfois dévorant. le sous texte est également très clair quant au désir masculin symbolisé par les hommes-gobelins: il est violent, brutal, conquérant...
Le poème convoque aussi au détour de tout l'érotisme trouble dont il se pare et qui rend cette lecture ambiguë et d'une sensualité bien étrange, la notion claire et bienvenue de sororité.
Il en ressort un texte qui, bien que disant beaucoup de la condition féminine à l'ère victorienne et dont Christina Rossetti fut sans doute une victime, demeure très actuel, très ancré et engagé.
Effluves politique sous parfums troublants de fruits défendus.
Un régal!
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