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Critique de berni_29


Je ne soupçonnais pas un seul instant que Marcel Proust saurait m'inviter avec tant d'acuité et d'émotion dans les chemins délicieux et tortueux de l'amour. La Prisonnière, cinquième opus d'À la recherche, invite Albertine à entrer dans la vie du narrateur.
Albertine, c'est celle qui fut jadis et il n'y a pas si longtemps encore jeune fille en fleur, si souvent présente dans cette grande oeuvre, personnage insaisissable permettant de révéler toutes les vicissitudes de l'amour, le désir, le vertige, le bonheur des premiers jours, l'ombre de l'amour pour dire en d'autres mots la jalousie, puis la séparation. Au milieu il y a souvent la désillusion. Dans la Prisonnière il me semble avoir soulevé un rideau, - ou pour ne pas dire un drap, et découvert ce sentiment amoureux que nul autre écrivain ne sait mieux que Proust imaginer, rêver, espérer avec tant de beauté et d'invention dans les mots.
Proust a aimé, Proust a été aimé, cependant s'agissant de l'être féminin dans l'univers sentimental et amoureux de Proust, nous savons si peu de chose... En tous cas, j'en sais si peu... Et je suis venu avec cette candeur dans ce très beau texte qui m'a surpris.
Si venant de loin le réel de l'amour nous fascine, quand il est présent, parfois on n'en mène pas large. Il y a sans doute chez Proust l'idéal d'un amour sublimé pour lequel la féerie dépérit à l'approche du quotidien.
Le narrateur s'est s'en doute maintes fois étonné tout au long du récit, se demandant par quel sortilège le désenchantement de l'amour peut venir aussi abruptement qu'il était venu dans l'imaginaire et nous avait tant obsédé.
Car Marcel Proust est un écrivain de l'imaginaire, capable de sublimer cependant ce que le réel a de possible en lui, dans sa gangue insolite et si mystérieusement ordinaire, c'est donc aussi un écrivain du réel d'une autre manière, un réel qui se dérobe sans cesse. En ce sens, La Prisonnière est un magnifique texte sur l'amour, mais qui demeure malgré tout étranger à nos vies, par lequel des mots m'ont touché, fortement parfois, mais, comment vous dire, je me suis senti extérieur à ce que je voyais, à ce que je lisais, c'était un monde que j'observais extérieur à lui, le décor étranger à ma vie qui passait devant moi.
Il n'en demeure pas moins une musique, celle d'une mélancolie ordinaire qui devient sublime lorsque le réel prend le chemin fugace de l'extase en se métamorphosant en souvenir. Est-ce le sort de l'amour ? Et chez Proust, cela se traduit dans le sentiment cruel de la séparation.
Dans la Prisonnière, Albertine incarne ce sentiment éblouissant, confus, tourmenté.
Albertine, c'est la femme qui est partie, n'est plus la même que celle qui était là. Tout est dans cette variation.
La Prisonnière exprime peut-être aussi le besoin ultime de Proust d'être aimé, mais qu'en sais-je au juste ?
Toutes les variations de l'amour sont pourtant bien là, comme si je les connaissais par coeur, pourtant je découvre ces mots comme un novice. Mais puisque vous me demandez mon avis, je ne partage pas du tout cette vision de l'amour développé ici par Proust qui tient plus d'une représentation de l'amour que de quelque chose de vécu.
C'est dans un huis-clos parisien que cet amour va s'exprimer pour notre plus grand plaisir de lecteur. Albertine en deviendra la prisonnière. Les mots fusent comme une sorte de jouissance électrique, mouvements ondulatoires autant harmonieux que contradictoires entre les corps et les âmes, - chez Proust il faut imaginer ce que nous ne voyons pas.
Chez Proust, j'ai l'impression que l'ambivalence de l'amour est un jeu entre l'absence et la présence.
Chez Proust, j'ai l'impression qu'il n'y a pas d'amour heureux. Or, je crois profondément le contraire. Dans La Prisonnière, tout est dit entre l'attente et la séparation, le narrateur perdant la personne aimée au moment de l'étreinte, disant l'échec de l'amour contenu dans l'attente, disant la joie de posséder ce qu'on aime plus grande encore que l'amour.
Aussi, je n'ai pas adhéré à cette vision qu'a Proust de l'amour, ou du moins celle que j'ai cru deviner ici, celle de proposer un chemin où la liberté de l'autre est peu au rendez-vous du chemin, cette idée de réclusion, d'exclusion, attacher un être à un autre que par le seul souci ou la seule préoccupation de le soustraire au désir des autres et aux occasions qui risquent d'éveiller son propre désir.
Mais j'ai cependant totalement adhéré à sa manière d'aborder le réel en le conjuguant avec ce sentiment d'amour.
La Prisonnière, c'est la recherche d'un bonheur impossible, altérée par cette jalousie qui devient le beau sujet du roman. L'amour s'accompagne alors du tourment qui l'entretient. Mais peut-on dire que la jalousie est une altération de l'amour alors qu'elle pourrait être au contraire saisie comme une preuve flagrante et viscérale de cet amour ?
La jalousie ici fut autant le vertige d'un désir que la servitude d'un enfermement.
J'ai été emporté par une structure narrative complexe et captivante. Il me semble en être revenu de ses méandres enfin pour vous en parler.
Comme souvent, la musique ici est encore présente, mélodie berçant le récit, je crois entendre ce soir la sonate de Vinteuil, dont les notes portent encore la mémoire d'une émotion, mieux que les voix, mieux que les regards, mieux que les mots pour le dire, mais je ne suis pas sûr que tout ceci soit bien réel.
Je conclurai mon billet par cette citation de Nicolas Grimaldi, dans Proust, les horreurs de l'amour :
« Il faut que le réel devienne aussi irréel que s'il était imaginaire pour nous procurer l'intense sensation de réalité que nous en attendions. Aussi semble-t-il au narrateur avoir sauvé sa vie lorsqu'il la sent enfin aussi intensément que si un roman la lui faisait imaginer. »
Si venant de loin le réel de l'amour nous fascine, de près il me fascine encore plus chaque jour.
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