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Critique de Aquilon62


Henry Füssli n'a jamais été célèbre en France, voilà un doux euphémisme.
Mais il semblerait que les choses évoluent
Une exposition au Musée Jacquemart André, une publication dans la fabuleuse collection "le Roman d'un Chef d'oeuvre"

Il n'en fallait pas plus pour éveiller ma curiosité à la fois en tant que lecteur assidu de cette collection et amateur d'art.

On découvre dans ce livre celui que l'on appelle le précurseur du romantisme noir. Né en 1741, dans une famille d'artistes, d'un père peintre et historien, Johann Heinrich Füssli commence son entrée dans la vie active par une carrière ecclésiastique.
Il sera pasteur, et se dirigera vers la peinture que tardivement. C'est en se rendant à Londres et influencé par Sir Joshua Reynolds, président de la Royal Academy, qu'il se penche vers l'art.
Durant son voyage en Italie, qui dura 7 ans, il fut happé et fasciné par la manière de Michel-Ange : "Je la voyais apparaître petit à petit sur la toile vierge, j'étais devenu Michel-Ange exécutant sa Création d'Adam".
Puis à la fin des années 1770, il repart pour Londres où il s'installe.

Ses inspirations pour ses oeuvres proviennent de sources littéraires comme Shakespeare (Lady Macbeth somnambule, le Réveil de Titania, les 3 sorcières) ou Dante : "Cette même année, je fus à la fois admiré et censuré pour une peinture que j'avais faite d'après Dante, Conte Ugolino affamé avec ses quatre fils dans la tour, également connue sous le titre de la Tour de la faim (Torre della fame)." Mais aussi mythologiques : " Achille saisit l'ombre de Patrocle", "La mort de Didon", où "Tiresias prédit l'avenir à Ulysse"
Son imagination les revisite de façon surprenante. Son expression artistique évolue dans un langage chargé à la fois d'onirisme et de drame où sont présents le merveilleux et le fantastique.

Mais dans ce livre Fussli, qui nous revient tel Chateaubriand (les lecteurs comprendront cette allusion) pour nous parler de sa vie au travers de son oeuvre la plus connue "Le Cauchemar".

Pour cette toile point de référence mythologique, biblique, ou littéraire, mais une inspiration pour un amour impossible qui a tant tourmenté l'artiste, et c'est le moins que l'on puisse dire, car il en exécuta cinq versions différentes :

"C'est ainsi que commença la série de tableaux du Cauchemar. J'en ai exécuté cinq versions au cours de ma vie, et celle-ci fut la première. Je vous avoue là une vérité historique, oui, j'ai peint cinq versions d'Anna, environ une tous les huit ou dix ans. Certains vous diront que ces répliques proviennent d'effets de mode picturale, pour plaire au public… Mais la vraie raison est dans mon coeur. Personne ne peut comprendre mon obsession ni la cautionner. D'ailleurs, je n'ai jamais cherché à être compris par les gens. Je me moque bien de ce qu'ils pensent, et le coeur ne s'explique pas avec des mots."

L'accueil qui sera réservé au tableau explique aussi ce qui entourer à par la suite cet artiste :" le lendemain de l'exposition, les journaux vantaient les tableaux les plus marquants, et le Cauchemar en faisait partie. On pouvait lire : « une oeuvre dérangeante mais sublime », « une horreur délicieuse », « une scène à vous faire pâlir de peur », « une dormeuse sensuelle »… Cette peinture m'avait fait devenir célèbre, mais les gens ignoraient d'où l'inspiration m'était venue"

Et c'est là le coup de maître de l'auteur qui a cherché à connaître l'origine de cette obsession, de cette inspiration et en a découvert cette histoire d'amour avec une femme qui s'appelait Anna Landolt, rencontrée à Zürich à son retour d'Italie. le rapport entre cette femme et le Cauchemar a été clairement identifié Fussli avait fixé son portrait au verso du tableau :

"Si je vous dis que j'ai fixé par la suite le portrait réel d'Anna au dos même de cette peinture, penserez-vous que je suis fou ? Personne ne l'a su ni ne le sait encore. Je l'ai lentement déroulé et l'ai cloué au verso en prenant soin de le recouvrir d'une toile pour qu'il reste caché. Cette femme était à moi, et j'exprimai par cet acte un désir d'exorcisme ou de sortilège.Anna – joli palindrome, un prénom qui peut se lire dans les deux sens, tout comme cette toile qui la voit apparaître à la fois au recto et au verso"

C'est cet acte, qui inscrit la scène dans la vie intime et personnelle de Füssli, qui a poussé l'auteure à choisir la voix de l'artiste comme voix narratrice de son ouvrage. Lui seul pouvait nous expliquer sa folie, ses accès de folie, son obsession pour la seule femme qu'il avait réellement aimée. Et de lui donner la possibilité d'exprimer de façon aussi forte ses sentiments, la "destruction", "l'obsession" ou la passion inassouvie :
" Était-elle encore en vie ? Je n'en savais rien. Voilà peut-être en quoi consistait la beauté de cette histoire : la garder comme un objet d'art sans me préoccuper de la vraie Anna, ce qui impliquerait le risque d'être encore déçu et de retomber dans la réalité. Elle était maintenant une icône que mes yeux pouvaient contempler tous les jours."

Une très belle écriture au service d'une très belle découverte artistique.
"Pour ma part, j'aimais peindre l'obscurité et les ténèbres : c'était une manière d'exprimer la noirceur de l'âme et la terreur, ou le velours du désir érotique. Vous n'avez qu'à observer mes versions du Cauchemar, elles en sont toutes empreintes, et vous vous apercevez aussi que ces deux éléments ne sont pas contradictoires mais qu'ils cohabitent l'un avec l'autre ; tout dépend de ce que vous voulez y voir. J'avais poussé le clair-obscur à l'extrême dans ma quatrième version, mais Anna, elle, restait dans la lumière, elle était ma source de réconfort pernicieux vers laquelle je revenais sans cesse."

Et pour paraphraser l'objectif de cette collection
C'est un fragment de notre patrimoine universel, inconnu pour moi, que j'ai découvert, cette lecture a été une source inépuisable d'émerveillement et d'empathie.

Et encore une fois : « Face aux violences du monde, à nos peurs, à nos tentations de repli sur soi, la voix des artistes réconcilie, réveille et rassemble. Résonne alors en nous cette quête éperdue du beau. La beauté. Simplement. ». Que cette cette lecture fut belle....
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