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Critique de berni_29


Je suis entré dans ce roman un peu comme on découvre une bouteille à la mer abandonnée sur le rivage.
Le temps d'ôter le bouchon de cire, j'ai brusquement entendu se répandre autour de moi des cris stridents qui semblaient venir du fond des âges et qui disaient « Tekeli-li ! Tekeli-li ! » Je me suis retourné, il n'y avait personne sur la plage, pas même la moindre mouette. J'ai alors tendu le goulot vers l'oreille, - ou plutôt l'inverse, enfin je vous laisse imaginer le mouvement latéral de part et d'autre et pas de doute les cris venaient bien du fond de la bouteille, d'où l'on pouvait apercevoir une sorte de rouleau de papier... J'ai fait ce qu'il ne fallait surtout pas faire : tendre le regard au travers du goulot. Et là j'ai reçu un paquet d'eau qui m'a rincé l'oeil, comme une vague sournoise qui entrerait par le hublot d'un navire.
Je m'apprêtais à briser la bouteille pour m'emparer de son contenu, mais ce ne fut pas nécessaire, la vague venait de jeter le rouleau de papier à mes pieds. Je défis les lacets qui l'enserraient et le rouleau se déplia sous mes yeux comme les ailes d'un oiseau, un oiseau marin bien sûr. C'était un manuscrit...
Je fus tout de suis happé par la lecture du texte, que les âges et les tangages de l'océan n'avaient point altéré. C'était le récit d'un homme, un certain Arthur Gordon Pym, persuadé qu'au moment d'écrire ces feuillets on le saurait d'ores et déjà disparu en mer, corps et biens, mais qui souhaitait qu'un jour quelqu'un puisse enfin découvrir son histoire et ses aventures fabuleuses, par ce manuscrit offert par l'entremise d'une bouteille jetée à la mer...
Du fond de cette bouteille venaient de jaillir les abîmes d'une odyssée incroyable.
C'était une sorte de journal de bord qui prenait sa source sur l'île de Nantucket, dans le Massachusetts, fameuse pour son port de chasse à la baleine et là où justement naquit Arthur Gordon Pym. Son meilleur ami, Auguste Barnard, est d'ailleurs le fils d'un capitaine de baleiniers. C'est avec ce dernier qu'une nuit le jeune homme organise une équipée qui manque tourner au drame : les deux jeunes gens, passablement alcoolisés, décident sur un coup de tête de profiter de la brise qui se lève pour prendre la mer sur un canot...
À partir de là je fus happé par le récit dont le rythme ne se ralentit pas jusqu'à la dernière page, dernière page dont je sentais bien qu'elle aurait pu se prolonger bien encore par d'autres feuillets, s'il n'y avait pas brusquement ce texte suspendu au-dessus du vide et cette ultime page demeurée blanche à jamais...
C'est ainsi peut-être qu'Edgar Allan Poe fit croire à ses lecteurs à la découverte du témoignage véritable d'un certain Arthur Gordon Pym...
Sauvetage, chasse à la baleine, tempête, mutinerie, massacres, cannibalisme, naufrage, île mystérieuse, ensevelissement, voyage sans retour, disparition en mer... Tous les ingrédients du roman maritime d'aventures semblent réunis dans ce récit échevelé comme une comète traversant les océans.
Aventures d'Arthur Gordon Pym est un roman atypique, une oeuvre de jeunesse de ce vieil ami Edgar Allan Poe, mal construit, mal fagoté, battu par les vents, emplis de maladresses et d'incohérences et une fin qui n'en est pas une, - passe encore, mais figurez-vous que ce livre ne comporte aucun personnage féminin, excepté la mer s'il faut ici y voir une image symbolique de la mère !
De ce roman inachevé, riche et complexe, aux aspects fragmentés comme les écailles d'une tortue marine, j'en suis resté perplexe jusqu'au moment où j'ai eu l'impression de découvrir la clef de l'insoluble... Je ne vais pas tourner en rond autour du mystère, ni vous faire croire à des intuitions improbables, ce fut grâce à la lecture de la préface... hé oui, il ne faut jamais faire l'impasse sur les préfaces...
En effet, la structure du roman est composée en épisodes où l'emboîtement donne au livre une allure de roman à tiroirs. Chaque épisode, en apparence disjoint, déconnecté aux autres, est en réalité prémonitoire de celui qui va suivre, s'agrégeant ainsi progressivement les uns aux autres par ce fil invisible et secret, comme une série de hameçons posés sur un fil de pêche.
On dit que ce roman qu'Edgar Allan Poe reniera plus tard, inspira cependant bon nombre d'écrivains tels que Herman Melville, Howard Phillips Lovecraft, Arthur Rimbaud, Jules Verne, Jorge Luis Borges, Pierre Mac Orlan... et aussi le peintre René Magritte...
J'étais là au milieu de la plage, venant d'achever ma lecture, lorsque brusquement j'entendis venir du fond du paysage des cris stridents qui ne cessaient de répéter : « Tekeli-li ! Tekeli-li ! ». Sur la crête des dunes et descendant vers la plage couraient vers moi des hommes nus aux corps peinturlurés de terre rouge, leurs bras armés de sagaies...
Alors il s'est passé quelque chose d'incroyable qui valut mon salut, - j'ai peine à vous l'avouer car je suis sûr que vous aurez du mal à me croire -, de la bouteille vide demeurée au sol s'échappa alors une voix à peine audible comme venue d'outre-tombe et qui me cria : « Saute sur la dernière page, la page blanche ! ».
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