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Critique de Erik35


PETITE TENTATIVE DE RÉENCHANTEMENT DU MONDE (UN CHOUÏA)...

Avant de poursuivre, merci aux éditions Albin Michel et à Babelio de m'avoir sélectionné à cette Masse Critique un peu particulière. Ceci étant dit, poursuivons !

Quel est, en ce XXIème siècle post-moderne, le meilleur moyen pour son prochain de rencontrer enfin sa prochaine ? C'est bien plus simple que ce que l'on pourrait imaginer : il suffit, pour se faire, de commander, via internet, une de ces bonnes vieilles cocottes en fonte. «Une cocotte Irone, fonte émaillée intérieur et extérieur, couleur rouge, vingt-huit centimètres, utilisable sur tous les feux dont induction et au four, répartition homogène et progressive de la chaleur, lavable au lave-vaisselle, garantie à vie», pour être parfaitement précis.

Une pure merveille de cocotte.

Ce qui l'est franchement moins, c'est la vie fade et solitaire d'Eugène, l'acheteur de ce parfait ustensile de cuisine. Eugène - Eugène Benengeli, c'est son nom exact - vit à St Jean de Luz, charmant petit port de pêche de la côté basque, presque à la frontière avec l'Espagne est comptable. Il vit seul, aime se cuisiner des petits plats - il rêve de son agneau aux herbes dans SA cocotte -, regarde la télé sans y prêter vraiment attention, se retrouve parfois dans le bar d'à côté, n'est pas botaniste. Ne fait rêver personne. Achète sa cocotte sur internet. Ne la reçoit pas. Attends. Attends encore. Plus que de raison. Décide finalement d'écrire une réclamation au service après vente...

C'est ainsi qu'Eugène va croiser l'existence de Lucia - alias Elise Dubois, ci-devant "Conseillère clientèle Irone" -, à l'occasion d'un échange assez truculent de mails de réclamation auxquels font invariablement suite des mails d'explication, mais le comptable - sans doute aidé par l'anonymat facile de l'écran - se lâche peu à peu, entraînant la conseillère dans sa gentille folie, jusqu'à ce que cette dernière lui avoue son véritable prénom confie au basque son adresse personnelle. Lucia vit à l'autre bout de la France - dans les quartiers populaires de Boulogne sur mer -, seule avec ses deux enfants, et un frère prof de yoga qui lui donne, ici et là, des coups de main. Lucia est une femme terriblement seule, mais qui s'est peu à peu faite à cette solitude, celle où l'on ne s'en rend même plus vraiment compte, celle où l'on oublie qu'on a pu être jolie, se pomponner, s'aimer... Alors, lorsqu'un botaniste (sic !) du pays basque semble s'intéresser à elle, imaginez le branle bas !

Pendant ce temps là... Et bien, oui, pendant ce temps-là, le monde continue d'avancer, et se fiche pas mal des cocottes, même en fonte. Alors, ce qui fait la une comme on le dit, c'est une émission de "télé-réalité" d'un genre (presque) révolutionnaire : fini les bimbos blondes délurées, les cagoles sexy, les badass ou les boloss d'ici ou d'ailleurs, has been, les djeun's dopés aux boissons sur-vitaminées ou au dérivé de semence de taureau (sic !) ; l'idée qui a germé dans un de ces cerveaux d'une chaîne de TV c'est de mettre dans quelques dizaines de mètres carrés plus un parc et sous l'oeil impitoyable de la caméra des... Vieux ! Pardon : des Seniors. Manque de chance - ou de jugeote - il semblerait que les bons vieux adages tiennent toujours la route et que ce ne sont décidément pas à de vieux singes qu'on apprend à faire la grimace. Et en effet, sous le regard outré et dépité du directeur de chaîne, voila que nos anciens, n'ayant à la fois rien à perdre et pas plus à prouver, retournent le jeu contre lui-même, en font une véritable vitrine politique, un lieu où les choses de la vie des vrais gens peuvent enfin se dire et s'exprimer, au grand dam de certains politiques qui commencent à n'en plus pouvoir mais ! Et bien oui, tout de même ! Ne sont-ils pas, professionnellement, les seuls dépositaires reconnus de la vraie vox populi, non mais ?

On avance, on avance, on avance. C'est une évidence, etc... Souvenez-vous de la chanson de Souchon. On fait de même dans ce roman pourtant court mais dans lequel, très vite, on se contente de s'acheminer inexorablement vers la dernière page parce que, tout de même, il n'est pas bien épais, qu'on s'est engagé - qu'on ne regrette pas de l'avoir fait, malgré tout -, qu'on se sent cependant un peu gêné de ne s'ennuyer à ce point, parce qu'il faudra bien l'exprimer, malgré tout. Que l'on préfère tellement dire du bien lorsque c'est possible. Sauf que. Alors, on avance.

Nos Seniors fichent donc une pagaille pas possible dans le poste et, puisqu'il est bien connu que nous sommes tous totalement hypnotisés sans exception ni recours possible par ce qu'il se passe dans la "petite lucarne", c'est à un véritable phénomène de société que nous assistons, ébahis. de fil en aiguille, c'est dans le pays tout entier que ces rebelles chenus amènent une sorte de doux vent de révolte et de folie allégée de maison de retraite en goguette. On a bien entendu droit à la part d'aveux intimes de ces anciens modestes et charmants, dans le confessionnal obligé de ce type d'émission. Ne sommes-nous pas à l'époque de la transparence absolue, universelle et obligatoire ?

Bien entendu, de leur côté, nos deux paumés qui s'ignorent se sont bien trouvés - c'est madame, malgré ses deux enfants, qui fait l'effort du coup de folie véritable. Mais on la comprend : Pour qui connait St Jean de Luz et le pays basque, on peut affirmer sans crainte de vexer qui que ce soit que c'est une région parmi les plus belles de notre hexagone -. Eugène, dans le secret douillet des confessions nocturnes, avoue son mensonge. Hélas non, il n'est pas biologiste, mais c'était de bonne guerre, n'est-ce pas ? Une longue et belle balade dans les Pyrénées ; un apéro-discussion avec un écrivain anar', ami d'Eugène, dans sa cahute ; Un refuge de montagne solitaire et vide, on s'installe pour la soirée, on prend son temps, on sait quelle sera la conclusion de toute cette escapade "métrosexuelle".

C'est en redescendant de la montagne que tout bascule, brutalement, sans prévenir, comme si le temps s'était brusquement arrêté, diffracté, entré dans une zone de vide. Et c'est l'ensemble de la planète qui s'est mise à hoqueter. Qui hoquette d'ailleurs de plus en plus régulièrement, de plus en plus fort, sans qu'aucune explication satisfaisante ni solution ne puissent être données. L'ambiance est à la fin du monde et même nos anciens télévisés du haut de leur invariable sagesse n'ont plus de réponse à apporter.

Rassurez-vous, tout se termine globalement bien dans ce monde rose pâlichon, grâce à l'intelligence humaine des plus généreux, au sens de la solidarité retrouvé, à la participation de tous à l'émergence d'un nouveau bien commun, alléluia. Car il faut bien essayer de réenchanter notre univers (le vrai), dont on ne peut pas toujours exprimer qu'il nage invariablement dans le meilleur des mondes possibles. Ainsi, la planète-mère, symbolisée, semble-t-il, par une baleine débonnaire et sans rancune, apparaissant régulièrement à proximité de notre côte atlantique, semble bien vouloir pardonner tous nos excès, nos dérives, notre surexploitation, notre impéritie.

On referme ces quelques deux cent pages sans y avoir cru beaucoup, à l'exception d'un ou deux moments (étrangement, l'échange internet du début, qui pourrait sembler du dernier quelconque, s'avère être rétrospectivement le passage le plus subtilement drôle et intéressant de l'ensemble) . On ne peut s'empêcher de pousser un soupir de soulagement, déçu, terriblement déçu, en refermant l'ouvrage. Des personnages peu ou mal exploités, sans aucune force psychologique et, plus encore, sans originalité vraie ; une multitude de thèmes apparaissant sans aucun lien logique les uns avec les autres, et dans un même temps, chaque épisode de ce roman s'annonce des plus convenus, prévisibles ; l'impression quasi permanente de déjà lu - et en beaucoup mieux. On pense, entre autres, à Anna Gavalda -, l'ensemble surnageant dans une espèce de salmigondis de sauce new-age (qui ne s'avoue pas vraiment) à la mode 2.0. Un style pas désagréable mais relativement transparent et truffé de lieux communs. Un texte qui ne parvient jamais à savoir s'il est une belle romance contemporaine, un ouvrage à la conclusion vaguement fantastique mais qui n'ose pas franchement plonger dans ce genre-là (la peur de dérouter ?), une critique très édulcorée de notre époque "post-moderne", l'ensemble entremêlé d'une sorte de nostalgie au futur antérieur d'un avenir souhaité, espéré et impossible à la fois. Au bout du bout, un "chouïa" - mot attachant que l'autrice semble apprécier et que nous n'avions plus entendu depuis des siècles - trop de tout avec pas assez de profondeur pour ce livre se lisant très vite mais qui a semblé très long.

Déception, donc, pour ce roman d'une jeune autrice, Nathalie Peyrebonne, qui n'en est toutefois pas à son coup d'essai, son Rêve Général en particulier ayant eut assez bonne presse et trouvant place, avant les célèbres éditions Albin Michel pour ce nouveau récit, auprès des excellentes éditions Phébus dont les choix éditoriaux sont généralement remarquables. Sans avoir jamais lu ses textes antérieurs, l'accroche pour celui-ci était des plus alléchantes. On se retrouve, en fin de compte, avec quelque chose de maladroit, de mal abouti, mélangent trop de genres pour satisfaire à toutes les exigences. Un peu comme si l'on se retrouvait avec, dans les mains, le véritable premier roman écrit par cette romancière, avec toutes les maladresses inhérentes à ce difficile et terrible exercice, - les deux précédents rédigé se faisant alors publier antérieurement. Ce n'est qu'une hypothèse - , mais qu'on ressort des placards le temps de se remettre de toutes ces émotions parfaitement justifiées, afin de se donner le temps de souffler et de repartir d'un bon pied.

Demeure ainsi un roman, léger, qu'on lira peut-être sur la plage, entre chichis, papotages et baignade, histoire de ne pas bronzer trop idiot en s'occupant l'esprit sans trop lui en demander. Juste un chouïa...
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