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Critique de cprevost


S'il est tout à fait possible de critiquer un livre que l'on a trouvé médiocre, inintéressant ou même révoltant, il est souvent difficile de commenter un très mauvais récit. Il n'est nullement question avec Gianna Molinari , confiné que nous sommes au hall sans existence d'une médiocre usine de cartonnage, de grands voyages littéraires. « Ici, tout est encore possible » est un roman mal écrit, mal fagoté et d'une stupéfiante insignifiance.


L'écriture blanche de l'auteure bâloise confine le plus souvent à une espèce d'absolue transparence. Serait-ce le fameux blanchiment Suisse ? Lancinament, sujet, verbe complément constituent la phrase. Les dialogues sont ponctués d'inutiles, surnuméraires et agaçants « je dis », « il dit », « j'ajoute ». Ce minimalisme de collège ne semble malheureusement pas procéder d'un choix délibéré de l'auteure mais manifester un manque évident de moyens littéraires. Quelques virgules supplémentaires et c'est la débandade: les fautes de style (et d'orthographe), les formules malheureuses, les lapalissades, les balourdises se rencontrent en grand nombre. Dans ce roman « la confusion est commise », « les battements du coeur sont épiés », « on songe au silence », « les choses sont commencées », « il y a un court-circuit dans le cerveau », « on se focalise sur un arbre », « la peau sombre conduit à émettre une hypothèse », « on conclue de manière définitive que l'hypothèse est fondée », « cinq ou six personnes sont amassées », « des pièges sont prêts à accueillir », « les visages ont une allure », « on adapte les dimensions d'une fosse à un état de fait », « la cantine est fermée pour cause de congés », « on essaie de suivre l'allure », « on tombe d'un rocher de désespoir », « on ne croit pas qu'il n'y ait jamais eu quelqu'un », « on sirote à la paille », « la peau brûlée évoque le soleil et pas quelque chose qui fait mal », « les mémoires servent pour l'essentiel à parler de soi », « l'usine ressemble vraiment à une usine », « les choses ne le laissent plus au repos une fois commencées », « on ouvre les yeux comme si on avait perdu des oeillères », « que nous apprend le jean d'un homme tombé du ciel : que la personne portait un jeans », « Ça ne peut être le chef car il aurait laissé d'avantage de traces », etc.


Surtout, le récit est absolument inconsistant et même d'avantage. Ici, nous avons souvent songé aux fameux canifs, aux délicieux chocolats et aux impeccables coucous, rarement aux prestigieuses littératures de langue allemande. Ce colossal bêtisier nous a fait aussi beaucoup rire. Un avant-gardisme de comice littéraire (biennois) se déploie absurdement dans ces pages. Il ne suffit pas de s'arrêter au hasard sur quelques insignifiants détails, quelques faits anodins, quelques généralités de bazar ; il ne suffit pas d'insérer quelques absurdes dessins, quelques inutiles photos, un peu de physique infantile ; il ne suffit pas non plus de digresser en tous sens pour dire un peu quelque chose. Il faudrait naturellement détailler : les parenthèses tout à fait hors sujet sur les mouvements de l'écorce terrestre, les Skiapodes, la représentation des éléphants, les îles ; les fausses généralités sur les moeurs des loups, le braquage des banques, les aéroports ; les controuvés détails des clôtures, des fosses creusées à la bêche, des oiseaux qui ne chantent pas la nuit, etc. Il faudrait recopier le roman dans sa presque totalité tant les marges sont noircies de nos remarques. Nous ne résistons cependant pas à donner quelques exemples. « Je plie une feuille de papier pour faire un avion. Il s'écrase contre la façade de verre. La vitre n'est pas endommagée »… « Je n'aurais pas parlé du tout ce qui sans doute aurait été la meilleure solution. J'aurais écrit mes exigences sur une feuille que j'aurais levé bien haut l'arme à la main. J'aurais porté un masque fait d'un bas. J'aurais un visage souriant pour bien montrer que je n'avais pas l'intention de faire usage de mon arme et que d'ailleurs je serais satisfaite que l'employé de banque n'appuie pas sur un bouton rouge pour appeler la police. J'aurais dû me procurer un véhicule pour ma fuite de couleur peu voyante ou le contraire. Ou peut-être j'aurais fui à pieds, à vélo ou en poussant mon vélo. Une femme se serait tenue derrière la braqueuse, on ne peut pas faire plus près. le témoin mentionnerait le col tulipe de la braqueuse qui rendrait impossible de tirer des conclusions sur la stature de la voleuse, même de si près » … « L'aéroport, c'est plus propice à la réflexion. C'est surement dû aux avions qui montent en apparence sans effort dans les airs » … « le loup recherché ressemblera surement au portrait-robot : il aura sans doute de plus grandes oreilles. On ne redoute pas le loup parce qu'il fouille dans les poubelles pour manger, mais parce qu'il a franchi une frontière. Il pense peut-être qu'on pourra sauver l'usine s'il dépose la dépouille du loup devant la porte du bureau du chef. Ou bien il a envie de récupérer la fourrure ou la viande, qui sait ce que le cuisinier aime cuisiner» … « penser se souvenir très nettement revient à ne pas avoir la moindre idée »… « Les photos [du chef devant l'usine] attesteront qu'ici se trouvaient l'usine et le chef, que s'y trouvaient aussi les pièges et la peur du loup », etc. Gianna Molinari affirme que le monde de l'usine qu'elle tente vainement de décrire est au bord de la disparition, qu'il est hanté par la peur sournoise de l'autre, les identités confuses et la présence du loup. A aucun moment, au grand jamais elle ne le fait malheureusement sentir.


Un jury a couronné ce premier roman, des professionnels l'ont sélectionné et des éditeurs l'ont ajouté à leur catalogue. Nous sommes bras ballants et bouche ouverte. Nous nous demandons si ces éminents spécialistes ont bien lu l'ouvrage primé – le pire étant naturellement que l'on ne peut pas l'exclure. Si Gianna Molinari atteint un jour son lectorat malgré la stupidité de son propos et son manque évident de moyens littéraires, nous devrons cependant bien admettre alors qu'elle ne sera pas parvenue à une telle réussite malgré ses déficiences mais grâce à elles. C'est l'insignifiance de l'écrivaine qui nous aura séduits et flattés. Inculture, illettrisme... toutes ces dérives travaillent une partie de nos sociétés ; elles ne représentent pas la totalité de la vie culturelle mais sa face noire, elles manifestent son état d'imbécillité. Au fond, nous devrions être reconnaissants à cette sorte d'écrivains qui possèdent la parole et qui la bradent, ils nous obligent à regarder la réalité en face. La réalité, c'est une excellente rentrée littéraire et quelques très mauvais livres.
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