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Critique de 5Arabella


L'oeuvre de Molière n'est au final pas si connue et explorée qu'elle pourrait sembler l'être. Il est certes l'auteur classique le plus jouée actuellement, tout au moins en France, mais ce sont toujours les mêmes pièces : Dom Juan, l'Avare, Les fourberies de Scapin, le Misanthrope, l'Ecole des femmes, le malade imaginaire… Pendant ce temps, tout un pan de son oeuvre reste méconnu, comme ces Fâcheux, qui ont pourtant contribué à asseoir sa réputation et qui ont joui d'un grand succès à l'époque.

Il s'agit d'une pièce écrite sur commande, faite par Fouquet, le surintendant des finances de Louis XIV, à l'occasion des grandes fêtes données en l'honneur du roi, en août 1661 au château de Vaux-le-Vicomte. Fêtes qui précipiteront, comme on le sait, la disgrâce du puissant ministre. La commande est très précise : il s'agit d'écrire une pièce qui pourra introduire des entrées de ballets. La cour était en effet très férue des ballets, mais comme ils étaient en général exécutés par les nobles de la cour, dont le roi lui-même, il existait encore peu de danseurs professionnels. Donc pour étoffer un spectacle qui sans cela aurait pu paraître un peu mesquin, il est convenu d'entourer ces ballets d'une pièce. C'était une pratique courante dans les ballets de cour : un poète inventait un thème qui permettait de relier entre elles des « entrées de ballet » conçues séparément. Mais Molière va donner une ampleur inédite à la partie qui lui revient et en faire une oeuvre à part entière. C'est d'autant plus remarquable, qu'il a très peu de temps pour le faire : moins d'un mois entre la commande et la représentation.

Molière utilise une thématique à la mode : celle de personnages incommodes, qui viennent au mauvais moment, avec des discours et des comportements inappropriés, une sorte de revue d'importuns. La dénonciation amusée du fâcheux correspondait parfaitement à la culture des milieux galants, qui moquaient les personnages qui ne possédaient pas les codes, qui tentaient de se faire une place, en étant à côté de ce que le beau monde avait édicté comme règles. Scarron venait d'ailleurs de faire publier une Epître chagrine, dans laquelle il passait en revue une cinquantaine de types de fâcheux. Molière va insérer ce défilé de personnages dans une intrigue de comédie très classique à l'italienne, basique pourrait-on dire : un jeune homme aime une jeune fille, mais le tuteur de cette dernière est opposé à leur union, et toute une série d'importuns les empêchent de se rencontrer, le tuteur étant au final le fâcheux en chef. Cette intrigue très simple, permet des variations à l'infini, et donne un côté très naturel aux entrées de ballet.

Les fâcheux qui perturbent les rencontres entre le jeune homme, Eraste et Orphise, sa bien-aimée, ont des modèles littéraires (Horace, Cervantès…) mais sont avant tout des personnages de leur temps, qui évoquent le goût de la danse, du jeu, de la chasse, de la conversation, les placets... Cela crée un effet de connivence avec le public, qui reconnaît sur la scène un certain nombre de pratiques et d'usages, ce qui donne une sensation de familiarité perçue comme un effet de vérité. Molière s'affirme ainsi comme l'inventeur du rire vraisemblable, donnant aux spectateurs à voir des personnages qui semblent sortis de la vie de tous les jours. Certains ont d'ailleurs cru reconnaître (ou se sont reconnu) dans certains des personnages.

La pièce a eu un grand succès, et Molière n'a eu le temps de la reprendre qu'une fois à Paris, avant de partir à la cour à Fontainebleau, car le roi souhait revoir la pièce. Il aurait d'ailleurs fait ajouter à Molière le personnage du chasseur. La pièce sera reprise par la suite à Paris. Elle a permis d'asseoir la réputation d'acteur comique de Molière : il y a interprété tout seul tous les rôles des fâcheux. La pièce sera publiée en 1662, et dédicacée au roi, Fouquet ayant entre temps été arrêté.

La pièce a sans doute un peu vieilli, et certains codes culturels ne sont plus forcément très parlant pour le lecteur d'aujourd'hui. Mais elle garde une vraie charge comique, et peut permettre à des acteurs de briller dans des personnages extravagants.
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