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Critique de Pippolin


Comme beaucoup je suis venu aux livres par la série télévisée…

Pourtant j'avais été vivement intéressé par les critiques parues dans Le Nouvel Observateur ou dans Télérama. Pensez donc : un roman d'Heroic Fantasy, ce genre méprisé par les beaux-penseurs, était encensé ! La critique le comparait certes à la référence obligée dans le domaine : le Seigneur des Anneaux mais citait également Les Rois Maudits, Shakespeare et ses souverains qui s'entredéchirent, Howard et son Conan le Barbare… Rien de moins qu'alléchant. Me dissuadait le souvenir de la lourdeur du Seigneur des Anneaux, justement, et d'autres lectures immatures ou bâclées du type « le Pèlerinage enchanté » de Clifford d'Simak ou « Les Croisés du Cosmos », de Poul Anderson

Quand même ! Les références à la Guerre des Deux roses m'attiraient bigrement. Jusqu'ici je n'avais trouvé aucun roman, aucune saga ayant su rendre compte des passions de cette époque. Tout ce que j'avais pu lire sur le sujet m'était apparu plat, plus morne que les biographies consacrées aux Edouard, Henry et Richard de l'époque. Alors ? Les York et les Lancastre allaient-ils enfin revivre par Stark et Lannister interposés ? Je n'osais pas sauter le pas. Que le livre caracole en tête des ventes et se maintienne dans le haut du tableau n'était pas forcément gage de qualité. J'en connaissais d'autres, tel les Tatiana de Rosnay, qui bien que vendus par centaines de milliers s'avéraient aussi passionnants qu'une liste de courses…

Je découvris la série sur le tard. Dans les campagnes publicitaires, HBO avait mis le paquet : les décors grandioses, les costumes des personnages, leurs trognes, tout interpellait le spectateur. Bien avant d'avoir vu un épisode, Daenerys, Khal Drogo et Tyrion Lannister s'étaient invités par le biais d'encarts, de spots ou d'articles et leurs visages, leurs silhouettes étaient bien vite devenues connus voire familiers.

Et me voilà à présent plongé dans cet océan de pages, 5.000 pour l'instant, probablement 7.000 si George RR Martin respecte ses engagements et que la maladie ne l'en empêche pas… Quelqu'un a dit qu'un chef d'oeuvre est une somme et le roman de George RR Martin l'illustre parfaitement. Car il s'agit bien d'un chef d'oeuvre dans lequel l'auteur a bâti un monde âpre, un monde riche de contrastes, un monde cohérent, avec ses croyances, ses rites, ses superstitions, ses dictons, ses prières et histoire. La force de Martin est de nous transporter dans ce monde détaillé avec précision, de nous y immerger et de nous persuader qu'il a existé, qu'il fut peut-être notre monde. Martin réécrit ainsi notre passé. Un passé crédible puisque le fantastique reste marginal, contesté même par les esprits rationnels de l'époque, ces mestres fiers de leurs pouvoirs scientifiques, ces grands seigneurs, pragmatiques avant tout. Un fantastique rare et qui de fait en devient plus fort. Et dans ce monde médiéval phantasmé, cette Angleterre, cette Ecosse bodybuildés pour Westeros - lieu principal de l'action -, ce monde antique, babylonien pour les Cités Libres, les êtres se déchirent, luttent, s'aiment, au fil des multiples intrigues, sans lien forcément les unes aux autres : la succession du Roi Robert Barathéon et la guerre des prétendants, l'épopée de Daenerys, les ambitions de Lord Baelish, les magouilles de Varis, la quête de Bran, celle d'Arya et surtout, derrière le Mur, la lente mais inexorable progression des Marcheurs Blancs, l'arrivée de l'Hiver, ce redoutable hiver qui peut durer plusieurs années et charrie matière à légendes.

L'histoire du Trône de Fer est vue par le truchement de plusieurs personnages, dont l'auteur nous livre les pensées : Ned Stark, Daenerys, Jon Snow, Arya Stark , Catelyn, Sansa Stark, Tyrion Lannister, Bran, etc. La liste se renouvelle au gré des tomes et des disparitions. Tout comme l'ordre de l'intervention de ces personnages n'est pas automatique, le cheminement de leurs points de vue évolue de manière parfois complexe, leur psychologie change. Rares sont les personnages blancs ou noirs. Pas de manichéisme au Royaume des Sept-Couronnes. La plupart peuvent avoir des moments de bontés, de faiblesses, d'égarements, des failles dans leur raisonnement. Ils commettent des actes de bravoure, des erreurs, taisent certains de leurs gestes, en justifient d'autres, changent d'avis. Ils amusent, surprennent, déçoivent. Meurent même parfois. Avec Martin, il vaut mieux ne pas s'attacher aux personnages. En ces temps troublés, la mortalité est élevée et guette tout le monde, même ceux perçus comme des héros potentiels de ce livre. Malgré sa panoplie taillée pour lui permettre de jouer les redresseurs de tort sur plusieurs tomes, son beau costume de héros épris de justice, Ned Stark est le premier à en faire les frais.

Un chef d'oeuvre, ai-je écrit plus haut, est une somme. Et ce roman en est une. George RR Martin connaît ses classiques dans lesquels il puise sans vergogne et qu'il transpose dans son univers fantastique. La référence à la guerre des Deux-roses saute aux yeux. Les Stark, qui vivent au nord, correspondent aux York, les Lannister aux Lancastre et naturellement ils se haïssent, s'affrontent et se marient entre eux. Mais il y a d'autres exemples, d'autres sources. Ainsi, la mort du roi Joffrey, rare personnage unanimement détesté, renvoie à celle du Prince Eustache, fils d'Etienne de Blois et concurrent d'Henri II Plantagenêt. Ainsi, la bataille de de la Nera, dans laquelle Tyrion Lannister ordonne la fabrication en masse de feu grégeois et l'édification d'une immense chaine flottante pour barrer l'estuaire lors du siège de Port-Réal par la flotte de Stannis Barathéon, est inspirée par les tactiques adoptées avec succès par les byzantins pour repousser les forces arabes devant Constantinople. Ainsi, L'épisode des « Noces Pourpres » dans lequel Robb et Catelyn Stark sont assassinés par les sbires de leur hôte lors d'un mariage est la réplique du « Diner noir », survenu en Ecosse au milieu du XVéme siècle. Les exemples abondent. La Garde de Nuit possède une organisation, des rites calqués sur ceux de l'Ordre des Templiers. le Mur qui protège Westeros des Sauvageons et d'un monde glacé nourri d'inconnu est bâti sur le modèle du Mur d'Hadrien…

Pour le féru d'Histoire, Game of Throne est un régal. Il l'est également pour l'amateur de littérature, Je ne parle pas du style de l'auteur, au vocabulaire riche mais à la syntaxe déroutante, parfois ampoulée comme une chanson de gestes – un problème de traduction, semble-t-il, corrigé par la suite. Je parle de références à la littérature. George RR Martin revendique ses maîtres : Shakespeare est là pour sa dramaturgie – d'ailleurs la plupart de ses pièces n'ont- elles pas pour théâtre la Guerre des Deux roses ? -, sa violence, Druon et ses « Rois Maudits » pour le découpage du roman, la multiplicité des intrigues, leur engrenage inexorable, la variété des personnages et l'absence de morale, Tolkien, à un degré moindre, pour le fantastique, ses mages et ses dragons, Howard, pour l'ambiance rougeoyante des mondes barbares… On peut déceler des clins d'oeil à Thomas Harris, l'auteur du Silence des Agneaux. Certains citent Vance, Tad Williams - que je ne connais pas -. Des avis autorisés parlent de Faulkner et de son pessimisme sur la nature humaine. Personne n'évoque Proust. Et pourtant, il m'apparaît que l'auteur d' « A la recherche du temps perdu » a influencé George RR Martin. Est-ce un hasard si l'un des personnages – certes secondaire – s'appelle Swann : Balon Swann. Comme dans le roman de Proust, les personnages évoluent à mesure que le temps s'écoule. Certains s'affirment, d'autres s'étiolent. Certains même, bouleversés par l'apprentissage de la vie au cours de leurs pérégrinations, vont jusqu'à changer d'objectif. le temps les façonne, fait son oeuvre. Dans Game of Throne le temps est un élément à part entière.

D'ailleurs, l'hiver vient…
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