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Critique de kielosa



Parmi ces gens qui ont erré dans le monde parfois opaque et souvent insondable de l'espionnage, le sieur Oleg Gordievsky a occupé une place de choix : chef du KGB à Londres en pleine guerre froide, et quelques années plus tard invité chez Ronald Reagan pour le thé à la Maison Blanche et anobli par la reine Élisabeth II à Buckingham Palace, en 2007. (Cf. la photo ajoutée, hier).

Je crois que même un John le Carré n'aurait jamais pu imaginer un personnage comme le Colonel Gordievsky, qui aujourd'hui, à 81 ans, jouit d'une retraite pas toujours très paisible en Angleterre. La vie d'un transfuge est presque par définition risquée. Cela m'étonnerait, en tout cas, que Vladimir Poutine lui envoie un carton pour boire tranquillement ensemble une vodka Stolichnaya Grand cru au Kremlin.

Ayant été fada pendant toute une époque des livres sur le noble art de l'espionnage, au fil des années le nom d'Oleg Gordievsky est apparu presque avec la régularité d'un métronome. L'ouvrage de Ben Macintyre constitue cependant le premier conçu essentiellement autour de ce Colonel. Par ailleurs, le livre contient une ribambelle de photos jamais vues de "l'honorable correspondant" pour employer un euphémisme devenu classique.

L'auteur, un historien de formation, chroniqueur et écrivain, né en 1963, a publié plusieurs livres qui ont trait à ce monde clair-obscur, entre autres une biographie du célèbre Kim Philby (1912-1988). de lui j'ai lu "La fille de l'Anglais" - en Anglais "A Foreign Field" - de 2001 et "Opération Mincemeat" de 2010, qui ne m'ont pas déplu du tout.

Comme le note Ben Macintyre, Oleg Gordievsky était un vrai enfant du KGB. Son père Anton était un haut officier de ce service et quelqu'un pour qui le Parti (communiste) avait toujours raison. Son frère Vasili, de 6 ans son aîné, était aussi un KGbiste. Seule sa chère mère était plus sceptique à l'égard du KGB comme source de bonheur.
Oleg a eu un parcours exemplaire pour devenir un haut gradé des services secrets et il est vrai qu'il n'a jamais envisagé un autre job.
Après le komsomol (jeunesses communistes), il est entré à l'institut d'éducation numéro un de l'URSS, celui des relations internationales à Moscou, l'ENA soviétique en quelque sorte.

Pour son stage, il fut envoyé à Berlin, juste au moment de la construction du fameux Mur en 1961, et comme sa "mamochka" il fut envahi de doutes sur la sagesse du système communiste. Comme agent, son service l'envoya à Copenhague en 1966 et après quelques années à la Première direction générale (espionnage extérieur) à Moscou et à l'âge de 44 ans seulement, en 1982, il devint chef de poste ("Rezident" en Russe) à l'ambassade soviétique de Londres.

Ce que tout le monde ignorait en Union soviétique c'est que leur brillant élément, passait depuis août 1968 des informations ultra-secrètes à l'ennemi, des agents du MI6 ("Military Intelligence", section 6) ou le Service des renseignements extérieurs britannique. C'est de lui que les Anglais ont appris que le légendaire 5e homme de la bande des traîtres de Cambridge, constituée de Kim Philby, Donald Maclean, Guy Burgess et Anthony Blunt, n'était pas Roger Hollis (1905-1973), chef du MI5 (service de sécurité intérieure), longtemps soupçonné après la fuite de Philby, mais John Cairncross (1913-1995) de MI6.

Pendant 17 ans, du Printemps de Prague, en 1968, à son exode du paradis soviétique en juillet 1985, Oleg Gordievsky a été la plus importante source d'informations sur le fonctionnement réel et les intentions de l'URSS pour les services secrets de l'Occident.

L'épisode de l'évacuation par les services britanniques de Gordievsky de l'antre du lion à Moscou et son franchissement de la frontière finlandaise est digne d'une production d'Hollywood.

C'est le double espion, Aldrich Ames, officier de la CIA, mais qui, de 1985 à 1994 pour une poignée de dollars, transmettait des informations hautement confidentielles au KGB, qui a dénoncé Gordievsky, parmi tant d'autres, aux Russes. Moscou a payé en tout 4,6 millions de dollars à Ames, dont le train de vie a fini par le trahir. Il avait une maîtresse colombienne, ultérieurement devenue son épouse, Maria del Rosario Casas Dupuy, qui aimait le luxe. En 1994, il a eu perpète sans libération conditionnelle.

Installé Outre-Manche, avec le professeur d'histoire à l'université de Cambridge, Christopher Andrew, Oleg Gordievsky a publié un remarquable ouvrage "Le KGB dans le monde, 1917-1990". Un excellent livre de références sur cette sinistre organisation, qui a employé à la fête de sa gloire plus d'un million de citoyens (agents actifs et dormants, espions à l'étranger, bureaucrates, sympathisants volontaires et légèrement forcés...).

Il a été le premier à signaler le potentiel et l'importance du futur secrétaire général de l'URSS, Mikhaïl Gorbatchev, né en 1931 à Stavropol, l'homme de la glasnost et perestroïka. C'est lui qui a été le conseiller et préparateur principal de Margaret Thatcher, Premier ministre, à sa rencontre avec Gorbatchev, en décembre 1984, inaugurant de la sorte la fin de la guerre froide.

En contrepartie, Lady Thatcher s'est débrouillée pour faire libérer l'épouse d'Oleg, Leila Aliyeva d'origine azérie, de prison, où elle se trouvait depuis 6 ans, et qu'elle et leurs 2 filles, Maria et Anna, puissent venir s'installer au Royaume-Uni. Malheureusement, peu après leur union s'est désintégrée.

Le 2 novembre 2007, Gordievsky a été hospitalisé d'urgence dans le Surrey où il habite et où il est resté 34 heures dans le coma. Il est sûr d'avoir été victime d'une tentative d'empoisonnement au thallium, tout juste un an après l'empoisonnement au polonium d'Alexandre Litvinenko à Londres. L'enquête suit son cours !

Frederick Forsyth a déclaré à des journalistes que si les éléments du parcours de Gordievsky, tels qu'ils ont été relatés par Ben Macintyre, auraient fait l'objet d'un thriller personne n'en aurait cru un mot.
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