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Critique de berni_29


Il y a des gens que l'on enferme en prison, mais qui restent libres au-dedans. Voilà la pensée qui traverse l'esprit de ce livre en découvrant l'herbier composé en prison par la révolutionnaire Rosa Luxemburg.
Déjà c'est un beau livre dans la forme, un de ces ouvrages qu'on aime effeuiller avec joie et délicatesse, avec des soleils dans les yeux et des libellules qui traversent le coeur.
Rosa Luxemburg était révolutionnaire mais elle était avant tout pacifiste, ce fut pour cette dernière raison qu'on la mit en prison en 1914 parce qu'elle était contre la guerre qui venait à grands pas.
Rosa Luxemburg était loin d'être une révolutionnaire en herbe. La théorie, l'action politique, tout cela était sa raison de vivre, de penser, d'agir... Cependant, il y avait autre chose aussi qui animait le coeur de sa vie, un aspect qu'on connaît moins d'elle.
Ce livre, Herbier de prison, c'est une partie de son herbier qu'elle a commencé au printemps 1913, au cours duquel Rosa Luxemburg voyagea en Corse. Les huit derniers cahiers de cet herbier seront exclusivement carcéraux.
Le livre dont je vous parle rassemble des planches de plantes pressées ou collectées pendant trois années passées derrière les barreaux et une soixantaine de lettres. C'est à l'occasion d'un projet d'expertise d'un corps retrouvé dans le sous-sol d'un hôpital berlinois en 2009 que ces planches ont été portées à la connaissance du grand public, une trace d'ADN de Rosa Luxemburg ayant pu être prélevée dans l'herbier.
La beauté du livre et le sens qu'il porte résident aussi dans ce questionnement qui vient naturellement. Mais comment a t-elle pu composer un tel herbier alors qu'elle
était emprisonnée entre quatre murs, sauf à imaginer que ladite prison fut dotée d'un jardin extraordinaire ? La réponse est magistrale et tient dans la raison d'être de ce livre : ce magnifique herbier est entrelacé par les lettres qu'elle écrivit à ses amies qui sont pour elle comme des soeurs, qui lui faisaient parvenir des fleurs, des feuilles, séchées entre deux pages de lettre. Et c'est cette sororité qui donne aussi à Rosa Luxemburg la force de tenir bon malgré les jours sans durant sa captivité, parce qu'aussi au-delà des mots et qui sans doute ne pouvaient pas s'exprimer pleinement en raison de la censure et de la dimension politique de cette détenue pas comme les autres, les échanges épistolaires deviennent fleurs, feuilles, plantes...
Durant trois ans et demi, elle insuffle dans les lettres qui sortent de prison vers ses amies cette idée d'une vision politique du monde empruntée à celui des fleurs et des oiseaux. Derrière ces échanges épistolaires presque anodins, on pourrait alors imaginer un dialogue où les noms des fleurs deviendraient un langage secret pour échanger des messages politiques... Comment ne pas voir alors tant d'allégories dans l'image de cet herbier, à commencer par celle de la pollinisation ?
Il est vrai qu'avant d'ouvrir cet herbier, je ne soupçonnais pas encore un seul instant que l'anémone des bois, la violette cornue, la bourrache des frères, la benoîte des ruisseaux, la renouée du serpent, la sarriette d'été ou encore tout simplement la rose et le dahlia, pourraient devenir mes amies et me révéler tant de choses au travers de l'histoire d'une réclusion.
De ces planches, s'échappent encore maintenant une vapeur de rébellion. Rosa Luxemburg ne cesse d'exhorter ses amies quoiqu'il advienne, à aimer vivre, à lire, à regarder la vie, malgré la guerre malgré la répression politique, malgré le monde qui s'enfonce dans la nuit.
Rosa Luxemburg était une militante corps et âme, une théoricienne marxiste d'origine juive polonaise, cofondatrice du parti communiste allemand, qui parlait au moins cinq langues. Avant d'étudier l'économie et la politique elle étudiait la botanique, la zoologie, les sciences dites naturelles, c'est ce qui explique aussi sa démarche carcérale. Elle était sans doute plus près des fleurs et des oiseaux, est-ce alors par erreur qu'elle s'est mise à virevolter dans le tourbillon tumultueux de l'histoire comme un papillon égaré dans un chemin qui n'était pas le sien ?
Une nuit d'orage et de désespoir, Rosa Luxemburg entend dans sa cellule le chant d'un rossignol qui illumine les ténèbres de la guerre : « le rossignol chantait, comme ivre. comme un possédé, il voulait couvrir le bruit du tonnerre, éclaircir le crépuscule - je n'ai jamais rien entendu d'aussi beau. Sur le fond du ciel alternativement gris de plomb et pourpre, son chant était un scintillement d'argent. C'était si mystérieux, si étrangement beau que je répétais involontairement le dernier vers de ce poème de Goethe: « Oh! Si tu étais là"». »
Herboriser, c'est lui permettre de prendre une distance durant le temps de son incarcération avec le monde d'avant...
J'y ai vu une femme émancipée, soucieuse des autres, de ses amies qui correspondent avec elle, mais aussi de la nature menacée, de la maltraitance animale, des oiseaux qui nichent dans la cour de la prison, des insectes, des plantes, de sa chatte qu'elle a confiée à sa meilleure amie avant d'être incarcérée.
Elle exprime ici un véritable sentiment politique de la nature qu'elle a étudié, qu'elle continue d'observer.
Lorsque le froid moral la saisit et qu'elle se sent comme un bourdon gelé, elle se rappelle qu'elle a toujours eu à coeur d'être près d'un de ces insectes gelés, de lui insuffler avec la bouche la chaleur de la vie, cette chaleur est encore là dans ce livre. Ne quittera jamais ces pages.
Rosa Luxemburg transcende ainsi les limites de sa cellule.
Loin du tumulte du monde qui fracassera l'humanité, Rosa Luxemburg chante le ravissement qu'apporte l'observation du moindre insecte, de la plus petite fleur, du plus intime sifflement d'oiseau. Parfois ces invitations composent le récit d'une journée carcérale qui lui permet de tenir débout. C'est juste beau et touchant.
En ce sens, Herbier de prison est avant tout une extraordinaire leçon de vie.
Rosa Luxemburg dit qu'elle a puisé dans cette observation attentive au monde du vivant une sensibilité pour construire son engagement politique. Ah ! Comme j'aimerais que nos femmes et hommes politiques du moment s'en inspirent !
Rosa Luxemburg sera libérée fin 1918. Deux mois plus tard, elle sera assassinée.
Herbier de prison est un véritable chant d'amour qui convoque le moindre brin d'herbe pour en faire un hymne à la vie. Ce soir, je me rallie au parti des fleurs et des rossignols, au parti de l'amour aussi puisqu'il n'y a guère qu'une passerelle qui l'en sépare.
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