AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Kiwano


Chronique par Tom Larret, des chroniques de Guensorde :

Cornegidouille de palsambleu alors ! Oui je jure comme Aliénor d'Aquitaine après les innombrables savonnages de gencives de mon adjudant-chef pour pallier à la verdeur passée de mon vocabulaire. Mais croyez-moi, voilà un premier opus qui mérite bien mes interjections tarabiscotées !

Décidément, les Éditions Pyrélion ne font pas les choses à moitié en terme de finitions esthétiques pour cette collection du Culte des Abysses. Depuis la couverture jusqu'aux polices en passant par les illustrations propres à chaque chapitre, elles nous offrent de véritables petites merveilles visuelles que je suis impatiente de tenir entre mes mains. (Pour le moment, je me contente du format numérique, mais je vous promets que
ceux-là rejoindront ma bibliothèque tôt ou tard).

La plume est tout aussi élégante, riche d'un vocabulaire étoffé et précis, sans le moindre mot superflu, au service du triumvirat sacré formé par l'intrigue, l'ambiance et l'action. de même, les descriptions ont cette appréciable sobriété qui n'entravent pas l'imagination tout en peignant habilement décors et atmosphères.

Ainsi, rien ne vient ralentir le rythme soutenu de l'oeuvre, bourrée de péripéties. L'abondance de scènes mouvementées et palpitantes ainsi que de retournements de situations inattendus vous empêchent de lâcher le livre avant la dernière page. Vous l'aurez compris, on est dans une lecture très sombre, effrayante et brutale, mais qui s'abstient de toute dégoulinade de boyaux superfétatoire. La violence évoquée ne glisse jamais dans le gore pour le gore imbu d'autosatisfaction, c'est mesuré et précis, et vous ne finirez pas tout verts la tête dans la bassine en appelant votre adjudant-chef. Quelques moments plus lumineux viennent toujours à point nommé alléger l'atmosphère. En revanche, certains passages écrits de main de maître ne se contenteront pas de vous donner des frissons, mais vous transiront d'un froid à faire geler votre âme. Rien que ça.

L'univers est centré autour d'un empire militariste dont la devise a tiré des larmes d'émotion à mon adjudant-chef : "un Empire fondé sur les armes se soutient par les armes. » La coloration steampunk prédomine largement, beaucoup d'objets et de concepts familiers nous aident à trouver nos repères et accentuent encore le contraste avec les situations qui relèvent du domaine de l'horreur et du fantastique.

On suit principalement le personnage d'Ilas, présenté en début de roman comme le parfait soldat : « vous, capitaine de Rayel, votre bravoure et votre foi inébranlables vous ont fait connaître dans toute l'armée impériale » mais qui est rapidement dépeint comme plus complexe qu'une simple marionnette en uniforme aux valeurs absolues. Ses certitudes évoluent au fil du texte, et la plupart sont brutalement remises en question.

Ilas est entouré par un quatuor aux caractères très différents, soulignés par leurs niveaux de langage, leurs modes d'expression et leurs attitudes qui permettent de les cerner sans pour autant lasser le lecteur en d'interminables et abscons portraits psychologiques. Tous ont leurs ambiguïtés, et entretiennent un rapport personnel aux grands concepts du monde. Parmi ces concepts, hormis la bière qui surclasse tout mais c'est un avis personnel, deux se distinguent :

La religion de l'empire est organisée en un culte monothéiste voué à la déesse Arhnam, bienveillante et Mère-Créatrice, idole prétendument universelle. Elle inspire une foi puissante à ses nombreux fidèles, qui la représentent comme comme omnipotente, pourvoyeuse de joie et de lumière, source de miséricorde. Pourtant cette foi se verra, vous vous en doutez, remise en question par l'existence de contrées inexplorées d'où émane la croyance dans le Dieu sans Nom...

La religion telle que l'auteur la structure n'entre pas en confrontation, avec la seconde thématique transversale, celle de la science. Savoir et technologie sont ici très détaillés, et au point de départ de l'intrigue principale. Des références pointues émaillent le récit, lui donnant de l'épaisseur et de la cohérence. Je tiens à saluer bien bas l'étonnant travail de recherche effectué par l'auteur. Exemple ? « OEil de vermeil et écorce de saule bleu (…) Ça ralentira la progression du poison et ça calmera la douleur ». Il s'agit là du Myroxylon balsamum (baumier du Pérou) associé au Salix alba 'Coerulea' (le fameux saule bleu) dont la symbiose a des effets anti spasmodiques et antalgiques non négligeables. Et le texte regorge de plaisantes perles d'érudition du genre.

À cela enfin s'ajoute une forme de magie latente, rarissime et inexpliquée, que le livre effleure, liée à un minerai mystérieux, l''Æther dont l'exploitation par contre est au coeur de l'intrigue. Les personnages dans cet univers rencontreront des obstacles aussi innombrables que variés, nantis d'une délectable logique dans leurs choix et les conséquences qui en découleront. Cette cohérence peint des tableaux réalistes, et rend l'adhésion plus facile à univers peuplé d'horreurs biscornues et horrifiantes, animales, végétales, mécaniques voire pire encore.

En sus des créatures atroces, les héros affronteront la maladie, les plaies, la démence et les éléments, mais leur plus grande difficulté restera toujours celle du maintien de l'unité, face à la méfiance, les secrets, la manipulation et les préjugés. Car ils réaliseront bien vite avec nous que les pire des monstres de la terre sont sans doute ceux à visage humain...

À l'instar de son oeuvre parallèle, À la Frontière du Vide, voici donc un roman complexe, foisonnant, riche d'ambiguïtés et d'atmosphères noires, qui m'a encore une fois déboîté la mâchoire d'admiration. Si l'ensemble du Culte des Abysses, qui verra se rejoindre les deux sagas de Sarah et Roman Lutèce, continue sur cette lancée, je vais finir défigurée. Je ne regretterai rien.
Lien : https://guensorde.home.blog/..
Commenter  J’apprécie          50



Ont apprécié cette critique (3)voir plus




{* *}