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Critique de jphial


Une belle journée ensoleillée s'annonce. Les parents décident de partir randonner en montagne. le père a l'habitude, il connaît le massif sur le bout des doigts. Marie-Pierre est grande et raisonnable. du haut de ses onze ans, elle saura s'occuper de sa soeur et de ses deux frères. On peut avoir confiance en elle, elle a l'habitude de donner le biberon au petit dernier et d'aider aux tâches ménagères. Les quatre enfants sont ravis : ils vont pouvoir faire des glissades dans les champs, se déguiser avec les vêtements de maman, se goinfrer de fromage et de jambon. Ils feront ce qu'ils veulent, toute une journée sans les parents. Mais au cours de l'après-midi, le temps tourne brusquement à l'orage. Les parents ne reviennent pas. Ni le soir, ni le lendemain matin, ni le surlendemain. Les recherches ne donnent rien.

Comment se remettre d'un pareil traumatisme ? Surtout qu'on envoie bientôt les deux aînés étudier dans la vallée, dans des écoles séparées. Ils ne reviendront au village que pour les vacances. Quatre enfants, ça fait trop de bouches à nourrir pour Tante Andrée et Oncle Antoine. Nouvelle déchirure pour la fratrie, aussi violente que la disparition des parents. Il faut dire qu'on les élève durement, les petits montagnards, dans les années 1970. On ne s'encombre pas vraiment de psychologie humaine quand on a déjà bien du mal à joindre les deux bouts en travaillant dur.

De ruptures en difficultés, Agnès Laurent nous invite à suivre l'évolution de cette famille durant une cinquantaine d'années, à travers le prisme des enfants, des adultes qu'ils deviennent bientôt, puis des petits-enfants, qui grandissent à leur tour avec une absence omniprésente à surmonter. Tous doivent vivre avec cette histoire, elle laisse des séquelles en chacun d'eux : colère, rancoeurs, jalousies et non-dits s'accumulent, engendrant repli sur soi et solitude.

Comment vivre sans savoir, avec ces questions lancinantes laissées sans réponses : les parents ont-ils fait une chute mortelle ? Et si ce n'était pas un accident ?

L'aînée, que l'on a arrachée à sa fratrie après le drame, ne parvient pas à stabiliser son existence et enchaîne les ruptures à l'âge adulte. le cadet noie l'absence de réponses et l'oubli impossible dans l'alcool. le benjamin parcourt la montagne en tous sens, à la recherche d'une trace. On ne sait jamais, avec le réchauffement climatique et la fonte des glaciers, peut-être que la montagne finira par révéler des secrets enfouis ? Seule à être restée vivre au village, Paule s'efforce de maintenir le lien entre les uns et les autres. Toujours à essayer de recoller les morceaux : "Luc, c'est votre père, il faut l'aimer quand même". Devenue mère de six enfants, elle a reconstitué une famille nombreuse à l'image de celle qu'elle a perdue petite.

La liste des symptômes du deuil impossible s'allonge, méticuleuse, clinique, et s'inscrit dans la durée. Sans jamais tomber dans le misérabilisme, Agnès Laurent décortique l'âme humaine au scalpel, avec une précision chirurgicale. Impossible de renoncer à l'espoir, qu'un détail suffit à raviver. Impossible non plus de passer à autre chose. La montagne est toujours là, à la fois familière et menaçante. La contempler, c'est se demander où ils sont. Même cinquante ans après.

On s'attache à ces quatre personnages en souffrance. A chacun d'eux. A leurs conjoints, à leurs enfants. Une fois le livre achevé, naît l'envie de relire les cinquante premières pages, pour profiter encore un peu de la compagnie de Marie-Pierre, Luc, Paule et Jean. de leur insouciance et de leur dernière journée d'enfance.
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