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Critique de jamiK


J'avoue avoir hésité avant d'ouvrir ce livre, c'est Manu Larcenet, un auteur hors catégorie dans l'univers de la bande dessinée, depuis le Combat ordinaire, il sort chef d'oeuvre sur chef d'oeuvre, et d'un autre côté, j'ai lu La Route de Cormac Mccarthy, et c'est un bon livre, mais ce n'est pas non plus le monument absolu. Avec une histoire où il ne se passe presque rien, ou les images sont toujours les mêmes, un livre si monotone, si pesant, comment peut-on en sortir un éclair de génie, comment dans un univers si gris peut-on y trouver la lumière. Pour moi, c'était inadaptable, ou du moins, une adaptation ne pourrait rien y apporter de plus. En réalité, j'avais peur d'être déçu par le Manu Larcenet qui m'éblouit si souvent.

L'adaptation de roman n'est pas sa spécialité, il n'a que le Rapport de Brodeck à son actif, mais là, pardon, à propos de monument de la bande dessinée, ça se pose là, j'en ai les larmes aux yeux rien que d'y penser.
Donc voilà, il n'a réalisé qu'une seule adaptation, extraordinaire, de roman avant de s'attaquer à celui-ci, un roman bien plus neutre, dont le discours est moins ambitieux, plus prosaïque, comment ne pas prendre le risque de me décevoir ?

De plus, je suis régulièrement ses publications sur instagram, et j'avais déjà un avant goût. Je m'en faisais une idée assez fausse : je le soupçonnais d'être tombé dans l'exercice de style, c'est d'ailleurs l'impression que m'a fait le roman que j'ai vu comme un exercice de style, pas de nom pour les personnages, pas de décors, pas de couleurs, rien à décrire, pas de passé, pas de futur, pas de pourquoi, pas de comment et une aventure à nu. Un challenge périlleux et pourtant réussi.
L'histoire tient à presque rien, le monde est cramé, dévasté, on ne sait par quoi ou pourquoi, les survivants sont retombés dans la barbarie, le cannibalisme, un père et son fils tentent de descendre vers le sud. L'histoire n'est qu'une longue marche dans l'horreur et le désoeuvrement.

Ses publications instagram ne présentait que des petits bouts d'illustrations, pas vraiment représentatives de ce qu'on y trouve réellement, lorsque j'ouvre la première page, c'est déjà la submersion, on est en apnée sous un nuage de fumée, étouffant, suffocant, et les personnages avancent alors dans un long travelling qui ne finira jamais. Manu Larcenet utilise un trait souple, avec des traits parallèles, doux mais persistants, il insiste sur les drapés des tissus usées de leur vêtements, jusqu'à l'obsession, comme s'il griffait sa feuille jusqu'au sang, jusqu'à la maltraiter, il l'agresse comme l'atmosphère oppressante agresse le père et son fils. À force d'insister sur sa feuille, il fait ressortir la lumière pourtant rare dans ce monde en ruine.

Les mots sont distribués parcimonieusement, pas de descriptions, pas de didascalies, il efface tous les mots inutiles du texte original pour les remplacer par son trait rageur, il ne reste que quelques rares dialogues, le mot "papa" est celui qu'on retrouve le plus souvent, renforçant cette protection du père pour son enfant, mais aussi la tension du père pour ne pas submerger l'enfant dans son désespoir.

Manu Larcenet ne nous épargne pas les horreurs, mais toujours avec le même trait minutieux et obsessionnel, les cadavres sont traités de la même façon que les carcasses de voitures, tout n'est que squelette. On arrive à cette réflexion sur la nature humaine, pessimiste et grave que le roman n'avait fait qu'effleurer, sa présentation des ruines, de la déchéance prend une dimension où l'apocalypse n'est pas une simple constatation, un simple évènement, mais l'essence même de la nature humaine. Pas très joyeux tout ça, et tellement terrifiant.

L'histoire avance au rythme des personnages, on avance à pied dans une nature effacée, la monotonie nous prend à la gorge et porte l'émotion à son paroxysme. On arrive à la fin bouleversé aux larmes, bien plus qu'à la lecture du roman, Manu Larcenet fait jaillir une beauté de l'horreur, l'espoir du désespoir. Je suis surpris de ce qu'il a réussi à tirer de ce roman, c'est un tsunami graphique !
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