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Critique de Rodin_Marcel


Konaté Moussa (1951-2013), – "Meurtre à Tombouctou" – Métaillé, 2014 (ISBN 978-2864249535)

C’est là le premier roman que je lise de cet auteur malien qui est quasiment mon contemporain exact par sa date de naissance : j’en suis très impressionné.
Précision immédiate, ce n’est certainement pas l’intrigue policière qui suscite un tel jugement, car elle est proche du zéro absolu pour un lecteur-consommateur assidu de ce type de littérature.
Non, ce qui est très impressionnant, c’est la faculté que possède cet auteur de restituer la société malienne sans tomber dans les ornières habituelles, donc sans concéder quoi que ce soit ni au folklorisme cultureux à la «Arte/Télérama/bobo» se délectant d’un "dogonisme" de pacotille (s’appliquant tout autant aux massaïs qu’aux bantous, aux hmongs ou aux aïnous), ni au discours déploratif sur les vilaines puissances coloniales constituant le fonds de commerce d’une bonne part de la littérature africaine, ni à la diatribe contre telle ou telle croyance religieuse au nom d’un "progressisme" visant à singer les sociétés occidentales.

Cet auteur a l’immense mérite de montrer, de l’intérieur, la société malienne telle qu’elle est, avec sa mosaïque de populations parlant peul, bambara, songhay, soninké etc, lesquelles, dans ce roman se déroulant dans et autour de Tombouctou, côtoient des campements Touaregs. L’auteur montre, avec respect, le fonctionnement social et mental de ces communautés, sans porter de jugement ; ce qui inclue les relations entre femmes et hommes, restituées ici avec tact et délicatesse, telles qu’elles sont (donc loin des vociférations standardisées de la bien-pensance occidentale).

L’un des points les plus amusants consiste à comparer la temporalité mise en œuvre dans ce roman policier africain avec celle qui est devenue l’un des pires lieux communs du genre dans la littérature occidentale. Là où, dans les romans du monde dit développé, les enquêteurs et enquêtrices se mettent à courir comme des cinglés, sans plus dormir ni même souvent manger, tout en se saoulant (cliché états-unisien fréquemment repris dans une partie de la littérature européenne) ou (variante) en subissant le poids de problèmes personnels écrasants (cf la pôvre famille de Wallander), notre auteur africain recourt à la sagesse et la lenteur du dromadaire : les enquêteurs se séparent en fin d’après-midi, et le travail ne reprend guère avant le lendemain matin neuf heures, de toute façon il est hors de question de faire irruption n’importe quand dans des communautés dont la vie est rythmée par le rituel islamique.
Le grand commissaire envoyé depuis la capitale s’adresse en tout premier lieu au doyen de la communauté avant toute autre démarche, en respectant les égards ancestraux exigés par la politesse (notons au passage que l’auteur sait aussi rendre la beauté d’un paysage africain sans se livrer à ce vocabulaire typique des dépliants touristiques).

Quant à l’ironie, elle s’applique sans méchanceté aucune aux deux petits français embarqués dans cette intrigue, l’un policier d’opérette, l’autre écrivaillon touristique, qui ne comprennent rien à ce qu’ils voient, ce que l’auteur expose sans méchanceté aucune, simplement avec beaucoup d’humour…

Un témoignage d’autant plus précieux que l’auteur montre Tombouctou avant que les djihadistes d’Ansar Dine ne la saccagent.

La question centrale de ce roman est fondamentale : la «loi», phénomène emprunté aux sociétés occidentales, a-t-elle plus de pertinence que les procédures héritées de mœurs ancestrales ?

Un très bon moment de lecture, qui incite à découvrir d’autres écrits de cet auteur.
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