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Critique de EvlyneLeraut


Un viatique.
« La Houle », tout commence, la vague quintessence d'une littérature d'embruns et de ressacs. le triomphe de saisir combien ce livre est indépassable.
Crépusculaire, l'acuité verbale, une histoire sublime d'amour pour la mer. La beauté douloureuse. Ici, l'horizon interpelle la renaissance.
L'existence océane, les entrelacs d'une vie entière en pleine mer.
L'écriture boréale de Ioànna Karystiàni illumine les pages. On retient notre souffle. C'est le cantique pour le capitaine Mitsos Avgoustis qui s'élève. L'heure pleine du renom.
C'est un homme vieillissant, aux longs cheveux blancs indisciplinés. La barbe comme du lierre. Il est de voyages, d'océans, d'itinérances. La mer pour assise et l'Athos III pour antre.
Un marin qui devine l'heure de son âge, comme une ancre jetée en pleine mer.
« - Dis-moi la vérité, Gérassimos. Est-ce que tu crains que mon âge soit un souci pour que je continue à piloter ?
- C'est avec toi que j'ai appris à avoir du courage. Je t'ai vu dix fois affronter la mort. »
Les confidences comme des corbeilles de paroles salvatrices, pour demain. L'union entre Gérassimos Siakandaris et Mitsos Avgoustis est une complicité innée.
Mitsos décline, s'accroche à la barre, à la concorde avec ses marins. Son chat Maritsa, personnage à part entière, est sa traversée du miroir.
Son compagnon qui « respectait patiemment le recueillement de son maître. »
Mitsos est dans cette heure du bilan. Sa vie en mer, toujours. Éloigné des siens, de sa femme Flora, ses deux filles et un fils, Andonis, qu'il ne connaît que trop peu, voire pas. Les faillites parentales, et la fulgurante impression d'être un père mal aimant.
Flora, rebelle et patiente, dans cette gloire des retrouvailles, un jour certain. La lutte aux résistances, lui, en partance, la houle qui bat au fond de sa poitrine.
« La seule chose que Flora souhaitait à cet instant, c'était de lui adresser une modeste plainte au sujet de son implacable indifférence . »
Il regarde les photos à la loupe. Frôle les murs, compte ses pas, il est aveugle.
On coopère à la dignité de l'instant, à l'austérité des épreuves. Comment quitter le navire ?
Les secrets en lui, cachés aux marins, de peur qu'ils ne le jettent dans la mer de l'oubli.
« - Quelle est la vraie raison qui t'empêche de rentrer ? - C'est la mer qui m'empêche... »
Le récit est une ode à la mer. On ressent les houles qui s'agrippent et enserrent l'Athos III.
Lui, d'ubiquité, entre sa maîtresse, Litsa, digne, souveraine, superbe dans cette aura de magnificence charnelle et sentimentale.
L'amour à la vie à la mort. Elle, qui attend Mitsos et lui écrit des lettres qu'il ne peut lire. La tragédie d'un non retour.
Ici, la houle est pudique, attentive, spéculative. le livre n'est plus, il cède la place aux hommes, aux marins, au temps qui s'écoule et d'aucuns savent qu'après le départ de Mitsos, plus rien ne sera pareil. L'entraide, la solidarité, la ferveur d'un regard complice. L'entendement de la minute même qui frôle les dangers et tout l'équipage.
Le sacrifice, la loyauté de la transmission.
Litsa est l'horizon. le règne des existences meurtries dans leur chair. Les repentances intimes. Les choix qui somment les limites mentales.
L'épistolaire, une houle larme, les mots plus forts que l'absence.
« Je tenais le livre de comptes de notre liaison. Pertes et profits. Et les seconds étaient considérables. » « Il existe des fêtes pour un. Je suis bien obligée de fêter ça toute seule. »
« Que les hommes sont des enfants. Qu'on ne se rend pas chez l'autre les mains vides. Que tout jardin recherche son jasmin ».
Lui, en déclin et dans un même tempo, il est le spectacle du monde pour un instant encore.
Lui, qui ne sait partir. S'affranchir de cette houle. Les remords, eaux profondes, larmes salées, il est de rides et de noblesse spéculative.
La fraternité pour ses marins, comme des frères soudés dans les vagues amicales.
Les certitudes de perdre beaucoup, voire tout. La terre ferme est finitude.
« L'Athos III était sa maison et sa boutique, avec lui il avait parcouru le monde, il avait fait vivre des dizaines de familles, c'était sa vie même. »
« La patrie dans le sac du marin, doublure pour les sous-vêtements, les lettres et l'argent. »
Jusqu'au jour où un membre d'équipage prend place sur l'Athos III.
Qui est ce jeune homme ? Et pourquoi prend-t-il soin de ce capitaine qui décline et cache aux marins, sa vue qui se meurt dans les profondeurs maritimes ? « Il avait senti tressaillir en lui le courage qui maîtrise la colère et engendre les décisions. »
Mitsos s'épanche, somme l'exutoire. « Je vais parler comme la houle. Je ne voulais pas être marin, je suis pourtant resté en mer cinquante-huit ans. »
L'oeuvre océane, sa vie à donner corps à la houle, aux battements des vagues contre un cargo sans retour. Les tempêtes et qui de Flora ou de Litsa sera son repentir ?
Sa petite-fille Laura qu'il ne connaît pas. Les épreuves comme le brouillard en ses regards.
On tremble sous la beauté de cette houle qui arrime l'initiation et les fiançailles des pardons.
Litsa et ses épistolaires myriades, « Souvadivadol, ma terre lointaine à jamais inconnue. » L'Atlantide.
Le glas de la retraite, corne de brume, le langage de l'incommensurable fin.
« La Houle » est un hymne à la mer, à l'amour, au lien entre les marins. La fraternité comme une étoile de mer, la camaraderie, un bel escompte hyperbolique pour demain sur la terre ferme.
 La Houle » des destinées. L'exploration du monde et de l'âme humaine. L'intensité d'un roman qui fait vaciller. La prodigalité. Traduit du grec par René Bouchet. Publié par les majeures Éditions Quidam éditeur.




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