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Critique de HordeDuContrevent


La littérature norvégienne a le don de m'apaiser, de convoquer l'intime à l'aune de l'indicible qu'elle sait avec pudeur effleurer, à l'image de ce peuple mis à l'honneur, « un peuple de peu de mots avec un grand savoir et une grande sagesse dans les mains et dans les pieds ». Son rythme est lent mais toujours en mouvement. Comme si nous étions en mer, bercés par les vagues, ballotés par moment, et en même temps ancrée en son moi intérieur. Comme si ce style simple, pudique, permettait d'entrer en résonance avec nos valeurs profondes, ancestrales.

Comme le tome précédent, Les invisibles, ce roman est captivant de par son ton monotone et simple, mais éminemment poétique et pur, fluide et organique, l'auteur ayant voulu accorder son écriture à l'image de la vie insulaire sur cette île de Barroy. Une terre de silence souvent rude et sombre, mais où des archipels et des îles, blanches comme les montagnes, apparaissent soudain, fraîches et brillantes et comme taillées dans le roc, dans une mer turquoise à perte de vue, lorsque des brèches de lumière fissurent enfin le ciel. Ces mêmes nuages parfois déchirés glissent dans le ciel lâchant alors des grains obliques sur la mer infatigable, tuant alors tout soupçon de vie.
Des iles sur ce plan infini, tels des temples flottants les jours d'hiver brumeux ou telles des perles de collier en été. Un paysage changeant, tour à tour austère, sauvage, paradisiaque.

« A la fin août, une chaleur étouffante était tombée sur la terre et sur l'eau, capable d'amollir les pensées et de troubler la vue. de la vapeur flottait sur les champs noirs, les oiseaux se taisaient, le paysage laissait échapper des soupirs inaudibles et la mer était lisse comme un plancher que l'on vient de repeindre ».

Nous retrouvons ainsi dans ce deuxième opus ce qui fait le charme fou de la tétralogie du Norvégien Roy Jacobsen, à savoir la description poétique de paysages à couper le souffle, de personnages humbles et pudiques, de la faune et de la flore sur ces îles norvégiennes. Et, surtout, élément notoire, la description des milles et un gestes permettant de survivre dans de telles conditions. Chaque geste, par exemple depuis la mise à l'eau d'un bateau, en passant par le processus de pêche, jusqu'à la découpe précise du poisson, absolument tout est décrit avec minutie, ancrant le lecteur, avec le personnage, dans le moment présent, dans l'ici et le maintenant, rendant la lecture véritablement apaisante. C'est l'effet que cela me procure, après quelques pages pour m'habituer à cette minutie. C'est une forme de méditation mettant entre parenthèse le passé et le futur cette façon de parler de labeur, de gestes, sans relâche. C'est saisissant et efficace car le roman gagne peu à peu en profondeur et en poésie, en beauté. Simplement. Sobrement. Humainement.

Nous avions suivi la jeune Ingrid dans le premier tome, sur deux décennies. Une petite fille puis une jeune femme vive, sensible, courageuse, solaire. Une vraie fille de la mer. Nous la retrouvons dans cette suite. Nous sommes en Novembre 1944. Les Allemands occupent le pays depuis avril 1940. Ingrid a 35 ans, elle décide de quitter l'usine de poissons dans laquelle elle travaillait depuis quelque temps pour retourner vivre, seule, sur l'île de son enfance, l'île de Barroy, petite île de la côte ouest. Sa tante Barbro est hospitalisée sur le continent. Elle remet, avec beaucoup de travail et de détermination, de la vie dans sa maison abandonnée.
En son absence, un bateau allemand avec des prisonniers russes, le MS Rigel, a coulé non loin de l'île. Certains hommes sont morts, leurs cadavres gisent sur les bords de l'ile, tandis que d'autres semblent être morts de froid et de faim sur l'ile, sauf un jeune homme qui a survécu, un jeune russe.
Ingrid va le sauver, le laver, le soigner, le cacher, l'aimer quelques semaines durant, avec peu de mots et beaucoup de gestes, avec la « certitude écrasante qu'il existait une autre île ». Un amour bref et intense, silencieux et complice.

« Ils riaient doucement, il pointait le doigt sur lui et disait "Alexander", puis sur elle en disant "Ingrid", il ne se lassait jamais de ces mots, et elle non plus. Puis elle l'habilla, lui coupa les ongles des orteils, elle prit les pieds d'une blancheur marmoréenne et les lava lentement, chacun parlant sa langue et en comprenant chaque mot ».

Ingrid va devoir aussi alerter les autorités afin qu'elles puissent ramener les cadavres. Les autorités, sous la coupelle allemande, vont cependant soupçonner que la jeune femme a sauvé et aidé ce prisonnier russe, questionnée, interrogée, elle sera battue pour cela. Heureusement, elle avait eu le temps d'aider son amant à s'enfuir auparavant. Elle sera hospitalisée et atteinte d'amnésie, ayant oublié ce que ces hommes lui ont fait subir. Ingrid va retrouver peu à peu courage et ténacité, aussi forte que le roc dont est fait ta terre natale, pour regagner son île avec la certitude confuse qu'elle ne reverra pas son amant mais il y a tant à faire…Il faut trouver du foin pour l'unique brebis, réparer les filets de pêche, récolter et vendre le duvet d'eider, faire retaper la maison, subir le rationnement, accueillir des familles de réfugiés, des lapons, oublier ce que lui ont fait subir les autorités et sauvegarder la nouvelle vie qui germe en elle…Le retour de sa tante Barbro puis de son cousin Lars après la fin de la guerre, va permettre à l'île de redevenir ce qu'elle était, « une communauté, avec des gens, des bêtes, avec des tempêtes et de l'entêtement, avec du travail, des étés, des hivers et de la richesse ».

Mer blanche, c'est une femme esseulée sur son île, avec l'irruption de l'Histoire dans un lieu que l'on aurait pu croire en dehors du temps. Mer blanche, c'est la vie et l'amour dans l'adversité, adversité des éléments, adversité des conditions de vie iliennes, adversité de l'Histoire qui sépare parfois ceux qui s'aiment. Si les descriptions des tâches peuvent sembler ennuyeuses et longues, elles sont, pour moi, une façon d'appréhender au plus près la vie de ces personnes de peu de biens, une façon saisissante de s'immerger, une manière d'être dans le moment présent sur cette île. de ces descriptions hypnotiques, émergent précisément la poésie et la beauté.
La littérature norvégienne, dans laquelle je retrouve souvent ce procédé, est décidément la littérature avec je me sens le plus d'affinités...

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