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Critique de HordeDuContrevent


Après « Les invisibles » et « Mer blanche », j'ai lu avec émotion le troisième tome de la saga romanesque norvégienne signée Roy Jacobsen. C'est, je trouve, le plus bel opus de la trilogie, beauté tacite qui émane à la fois des descriptions magnifiques des paysages scandinaves traversés, de la personnalité loyale et intègre de l'héroïne, et de cette manière pudique et silencieuse de décortiquer la psychologie des personnages, l'air de ne pas y toucher… Alors que les deux premiers tomes s'attachaient, au moyen d'une plume sèche et poétique, à décrire les milles et un gestes de personnages taiseux, gestes d'un quotidien particulièrement rude sur l'île au Nord de la Norvège, conférant une certaine lenteur au récit, celui-ci est traversé par le mouvement via les déambulations obstinées du personnage principal, Ingrid.

Eté 1946, contre l'avis de tous, Ingrid décide de quitter son île natale, Barrøy, dans l'espoir de retrouver Alexander, soldat russe qu'elle a sauvé d'une mort certaine deux ans plus tôt. C'était le seul rescapé du naufrage d'un bateau allemand en feu qui transportait des prisonniers de guerre, le MS Rigel. La jeune femme avait recueilli cet homme plus jeune qu'elle, l'avait soigné. Ingrid et lui ont vécu, malgré la barrière de la langue, une passion de quelques semaines avant qu'il ne reparte. Une petite fille, prénommée Kaja, est née de cette union. La guerre terminée, la jeune femme au caractère sauvage, fort, entêté et intègre, décide de tenter de le retrouver. Elle part donc à sa recherche, valise à la main et enfant sur le dos. Et voici l'épopée d'Ingrid et de Kaja pour remonter la piste de cet amant circonstanciel, contre vents et marées, affrontant les éléments, parcourant de longues distances en train, en bateau, voire à pieds, oscillant entre espoirs et déceptions, affrontant le regard des autres, leurs préjugés, leurs silences qui taisent parfois la vérité et sont assourdissants. Les langues ont du mal à se délier, la confiance n'est plus de mise après la guerre.
Les personnages sont taiseux, comme toujours avec Roy Jacobsen, et cet amour semble d'autant plus magnifié et âpre qu'il a été éphémère, au point de devenir presque imaginaire, si ce n'est les yeux noirs et singuliers de la petite Kaja qui ressemblent tant à ceux de son père.

« le fjord était posé comme une ceinture grise entre des montagnes abruptes et vertes, et c'est au petit matin que le Munkeffjord accosta à Kongsmoen sous une pluie battante et vaine, qui tombait à la verticale et dissimulait à la fois les forêts, les monts et les fermes ».

Nous parcourons avec Ingrid un pays en ruines, à l'image de cet amour, et les personnages rencontrés, tantôt accueillants, tantôt hostiles, tentent surtout de s'arranger avec l'Histoire, leurs petites histoires personnelles n'ayant pas toujours été à la hauteur en termes de moralité et de courage. On le comprend confusément, Ingrid, par sa quête obsessionnelle, son errance désespérée et entêtée, hasardeuse, dérange et remue la vase qui commençait tout juste à reposer au fond du marais saumâtre de leur conscience.
Chaque personnage, empêtré, donne l'impression de savoir quelque chose qu'il ne sait comment exprimer, c'est cette pudeur qui est fascinante avec Roy Jacobsen, un regard, un silence, peuvent en dire plus long qu'une explication…Il y a quelque chose de tacite dans les rapports humains, d'intuitif, que nous retrouvons également dans ce rapport quasi métaphysique au paysage, la façon qu'a l'auteur norvégien de décrire les éléments, les saisons, la faune et la flore touche en effet au mystique et au sacré. Et ce grâce à cette plume, toujours aussi épurée et sèche de laquelle sourde une poésie délicate.

« Un sentier indistinct la mena du lac jusqu'au chemin qu'elle avait vu sur la carte. Elle attendit que l'aiguille tremblante de la boussole de Mariann se décide, puis elle prit vers l'est sans hésiter et marcha le reste de la journée sur des gravillons qui séchaient lentement pour se muer en poussière, avec une forêt basse et dense de chaque côté, à travers un tunnel de feuilles, avec le ciel pour toit ».


Ingrid va-t-elle retrouver son amant ? Va-t-elle retrouver l'amour ? Je vous laisse le découvrir avec ce troisième opus qui m'a fait parcourir avec émotion des centaines de kilomètres du nord de la Norvège vers le Sud-est avec quelques escales en Suède. Une beauté pure, tacite, pudique, tant dans les descriptions des paysages que dans les personnages, caractérise particulièrement cet opus, une manière délicate de percer le brouillard de cet après-guerre dans lequel beaucoup tentent de cacher des choses non avouables et de continuer à vivre, malgré tout. C'est aussi la mise à l'honneur du personnage d'Ingrid dont la personnalité s'éclaire au fil des tomes de façon flamboyante. Quel magnifique portrait de femme, intègre et pur ! La plume de cet auteur norvégien, particulièrement délicate, a le don de m'enchanter.
Il me tarde de découvrir le quatrième tome sorti récemment pour retrouver l'odeur « de la poussière de charbon et de farine, le lait caillé battu et la réglisse auxquels se mêlaient le hareng salé et le camphre »…Voyage sensoriel en terres scandinaves…


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