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Critique de EtienneBernardLivres


L'anarchie des extrêmes dans le Paris du Moyen-âge.

Le début donne une impression étrange, par cette entrée inutilement subtile et lente par un contexte historique sur un lieu très précis, l'actuel palais de Justice, lieu où il ne se passera pas grand chose. On s'incarne ensuite en Gringoire, poète raté qui vagabonde dans les rues de Paris, se dirigeant candidement dans la Cour des Miracles et rencontre la fameuse Esmeralda. Puis on quitte le corps de Gringoire qui finalement sera secondaire, pour se contextualiser dans la vie, depuis la naissance, de Claude Frollo et Quasimodo, qui sont eux les deux vrais personnages du roman avec Esmeralda.

L'un, Claude Frollo, puits de science, s'acharnera par un amour terriblement possessif envers Esmeralda.
L'autre, Quasimodo, être cumulant toutes les difformités possibles, offre un amour attentionné et gratuit, sans espoir de retour à Esmeralda.

Le roman est incroyablement violent dans ses péripéties, tout y passe, humiliation, enlèvement, torture, assassinat, châtiments corporels en public, condamnation à mort, l'attaque-braquage de Notre Dame… Victor Hugo excelle dans les images, les métaphores et on prend autant de plaisir à lire les descriptions de ce qui est beau que de ce qui est mauvais.

Au-delà de tout ça, c'est bien plus un roman politique qu'un roman historique. le roman est surtout historique dans les moeurs, historique dans l'architecture, mais pas historique au sens classique du terme, vous n'apprendrez que peu de choses sur Louis XI, sauf à renforcer les grands traits ou caricatures qu'on a sur lui, sa personnalité.

Politique, politico-religieux donc car Claude Frollo déraille complètement à cause, sans doute, de son voeu de chasteté, c'est en cela qu'on a pu dire que Victor Hugo était anticlérical, même s'il est lui-même croyant mais anticlérical disons envers les règles chrétiennes au sens large.

Mais Claude Frollo est-il vraiment une bonne représentation des prêtres, de la sphère ecclésiastique ? A première lecture, on peut penser que non, car tout est trop singulier, trop particulier chez Claude Frollo pour en faire une généralité : une désastreuse enfance par la perte de ses parents, le fardeau de son petit-frère qu'il éduque seul - un extraordinaire appétit pour les sciences - un rejet total des femmes au point de les exclure dans les lieux saints qu'il fréquente - la terrible peur qu'il inspire aux enfants…. Son penchant pour les sciences occultes, l'alchimie notamment, considérée comme de la sorcellerie. Si encore il avait du succès, mais non il est même très impopulaire dit-on dans le livre.
Bref il est tellement singularisé par Victor Hugo qu'il serait contradictoire de critiquer la fonction ecclésiastique en prenant un cas si extrême. Tous les prêtres de l'époque n'étaient pas comme Claude Frollo et Victor Hugo lui-même en fait un être hors norme.
A moins que cela soit justement une habilité de sa part pour éviter des reproches trop directes au motif d'être anticlérical. Ou alors une façon de marquer l'esprit et l'imagination car on imprègne mieux une idée au travers d'un fou aux idées extrêmes que d'un prêtre à tempérament moyen.
Donc voeu de chasteté finit tôt ou tard par faire exploser tout un tas de vices résultant de pulsions réfrénées, ce qui motive son obsession malsaine pour Esmeralda. Oui pourquoi pas, mais a-t-on obligé Claude Frollo dès sa naissance à embrasser la fonction ecclésiastique ? C'était pourtant réfléchi, attendu, et décidé en toute conscience. Et puis surtout, pourquoi Esmeralda ? Pourquoi succomber si violemment et facilement après quinze années d'exercice, passer d'un extrême à l'autre, pour une fi-fille de 16 ans qui danse bien ? N'a t-il jamais vu d'autres filles auparavant ? Alors bon, si l'on nous parle d'une bête fauve sortie de sa cave et que l'on jette sur la première belle fille qu'il voit dans sa vie, d'accord, mais là Claude Frollo, il avait sans doute l'habitude de garder son sang-froid en présence de belles filles, donc où est le mystère ? La beauté plus qu'extraordinaire d'Esmeralda ?
D'accord acceptons qu'elle soit hors-norme. La belle Esmeralda et son talisman fatal qui change tout à coup le caractère et la destinée de chacun. Très bien, c'est une sorte de sorcière sans le savoir, envoutant avec une forte gravité son entourage.
Mais n'a t-il pas trop tiraillé les extrêmes entre Claude Frollo et Esmeralda pour qu'on puisse en déduire une position clairement anticlérical ?

Et Quasimodo, représente-il le peuple ? Ce peuple brutal, soumis, n'ayant pas le droit à la parole mais ayant un coeur qui sommeille. le peuple qui est intérieurement bon inconsciemment. le peuple, comme Quasimodo, qui a un petit coeur et qui n'attend qu'un acte généreux, un acte gratuit pour faire preuve de générosité en retour.
Pourquoi pas, mais la générosité que Quasimodo donne en retour à Esmeralda n'est pas si gratuite que cela. Quasimodo a une lourde dette morale envers elle par sa tentative d'enlèvement raté en pleine rue. Malgré cela, Esmeralda vient le secourir lors de ses châtiments corporels punitifs sur la place publique en lui apportant de l'eau, lui qui est hideux, lui qui a toujours été exclu, moqué et humilié et qui se trouve miraculeusement aidé par la jeune fille qu'il a agressé. Si Quasimodo eut été beau, peu traumatisé dans son existence et s'il n'avait pas au préalable agressé Esmeralda, il aurait été très certainement indifférent à l'acte bienveillant d'Esmeralda au sens où cela n'aurait pas changé sa destinée.

La vraie générosité sincère vient bien d'Esmeralda, celle qui donne spontanément et sans attendre en retour, mais Esmeralda assurément ne représente pas le peuple, elle est bien trop idéalisée, elle qui conserve toute sa pureté angélique même élevée dans la Cour des miracles, repère de filous et crapuleux, oui elle est un peu irréaliste quelque part, trop beau pour représenter quoi que ce soit.

Au-delà de ça, qu'est-ce que cette naïveté excessive d'Esmeralda pour Phoebus ? On veut bien admettre qu'elle ait que seize ans mais tout de même, pourquoi cet amour si passionnée après une brève entrevue nocturne dans un lieu lugubre suite à des déclarations faussement romanesques de Phoebus qui n'est qu'un fanfaron beau parleur et très impatient lorsqu'il s'agit de séduire. Oui Phoebus a sauvé Esmeralda en pleine rue, mais bon il a fait son métier de capitaine de garde, rien d'extraordinaire non plus. En plus on sentait qu'Esmeralda repoussait ses avances tout comme elle a repoussé violemment les avances de Gringoire, puis elle cède facilement (trop ?) tout en s'attachant subitement à lui d'une manière totalement irrationnelle. Au mieux cela aurait pu être une relation charnelle, mais surement pas un amour passionnel, or, Esmeralda vit cela comme un amour sincère et profond tout au long du roman, ce qui semble totalement artificiel, au point même de lui faire perdre la raison puisqu'elle hurle son prénom au moment même où elle était cachée et protégée par Paquette en prison, ce qui causera sa perte.

La fatalité, Victor Hugo jouit avec sa fatalité, il prend ses personnages comme des marionnettes et les jette contre un mur qui s'appelle fatalité. Claude Frollo est fatalement fanatique, lui qui fonçait tête baissée dans les sciences, change brutalement de direction pour foncer vers Esmeralda, sans marche arrière, comme si Esmeralda était devenue sa pierre philosophale.
Esmeralda devient fatalement amoureuse de Phoebus en une seule nuit par un amour qui nait subitement au plus haut et qui ne décroîtra jamais.
Louis XI est fatalement calculateur, froid, radin, ne pensant qu'à renforcer son pouvoir monarchique par tous moyens, à peine si Victor Hugo lui reconnait quelques qualités.
Tout est un peu fatalement ridicule d'une certaine façon. Est-ce qu'on se sent triste quand Esmeralda est définitivement condamnée ? Bah non, elle est trop pure, trop naïve, pas au point de mériter sa condamnation non plus mais ça ne m'émeut pas non plus.
Est-ce qu'on ressent de la peine pour Claude Frollo tombant dans des délires au point d'avoir des hallucinations seulement pour ne pas savoir maîtriser son ardent désir pour Esmeralda ? Bah non, il est fou, il délire, il complote, il divague dans la rue, il manipule désespérément Esmeralda, il meurt poussé par Quasimodo du haut de la Tour, tout cela fait un peu ni chaud ni froid car il est tellement fou, tellement inconscient qu'il est impossible de l'apprécier ou de le juger comme un être humain, lui aussi est surréaliste.

L'architecture et Victor Hugo : Tout comme les mots ont un sens, les pierres ont un sens également. Il se plait alors à nous décrire comparativement le moyen-âge de Paris et le Paris du 19ème par des chapitres très lourdement digressif et tente d'expliquer l'impact des changements de physionomie de la ville sur les moeurs.
Au premier chapitre on mange déjà une bonne vingtaine de pages sur l'avant/après palais de justice, ensuite l'avant/après place de l'Hotel de ville, place de Grève avant, l'avant/après Notre-Dame, et l'avant/après Paris dans sa globalité. Il y a à boire et à manger, j'ai bien aimé notamment la relation faite entre les anciennes enceintes et fortifications de la ville, qui ont compressé les bâtiments les uns sur les autres au point d'avoir entrainé des surélévations sauvages, un rétrécissement des rues, et donc un bordel sans nom, favorisant ainsi des quartiers comme la fameuse Cour des miracles.
Très bien mais tout cela est mal inséré dans le livre, ce qui rend la lecture très très désagréable. Il saupoudre ses chapitres sur l'architecture un peu partout dans la première moitié du livre et au moment ou vous commencez à accrocher aux personnages, Hop là Victor Hugo nous fait une interruption, comme une pause PUB, façon PUB de l'architecture de Paris.

Les juges et les exécutions barbares et Victor Hugo : le coeur n'existe pas chez les juges ou trop rarement, d'ailleurs n'importe qui peut-être juge, comme le magistrat sourd décrit dans le roman. La barbarie des exécutions excite le peuple dans le plus mauvais sens, on se précipite en famille, de toute classe sociale pour voir le spectacle public qu'est une condamnation à mort ou des châtiments corporels. D'ailleurs on condamne à peu près tout sur la base d'infractions pénales très floues comme la sorcellerie ou le vagabondage. Tout cela renforce le côté violent au livre qui lui ajoute encore un peu plus de relief.

Les petits seigneurs et Paris : « Paris était un assemblage de mille seigneuries qui la divisaient en compartiments de toute formes et de toutes grandeurs. de là mille polices contradictoires, c'est à dire pas de police » Tout est dit dans cette phrase, c'est ce qui explique l'abandon total d'une zone entière de Paris donnant naissance à la Cour des miracles, et qui explique même l'attaque des truands de la Cour des miracles à Notre Dame sans opposition directe. Quelle force locale pouvait contenir une foule de 6000 hommes ? Personne, personne hormis Louis XI qui, se réjouissant d'abord du vacarme généré dans Paris, qui serait vu inévitablement comme une fragilité excessive des petits seigneurs et donc augmentant la légitimité de son propre pouvoir royal, n'a réagit que lorsque Notre Dame était clairement et directement attaqué. Notre Dame est tellement sacrée et symbolique qu'une attaque en ce lieu est une insulte directe au roi, Louis XI était en plus sincèrement catholique.


De tout cela on en conserve sans doute pour longtemps de très belles images symboliques, poétiques et politiques de Victor Hugo. Que l'on aime ou non, cela ne laisse pas indifférent, le livre dans sa globalité impressionne et marque durablement l'esprit.
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