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Critique de EllexaHeartsBooks


Le meilleur Young Adult fantastique depuis longtemps.
On pensait avoir tout vu dans la catégorie du Young Adult digne hériter de Harry Potter, avec personnages envoyés dans une école et soumis à dangers et créatures fantastiques. Et c'était probablement le cas avant qu'Anne-Sophie Hennicker ne débarque dans le genre et décide de reprendre les codes et de leur mettre un bon coup de dépoussiérant. le résultat final est un roman incroyable, palpitant, vibrant, troublant, mystérieux, bâti comme un thriller et avec une solide dose de romance. On aime, on adore, et on en veut encore.

Miya se réveille d'un coma après un accident qui a brouillé sa mémoire. Elève de la prestigieuse école Ebbstone, qui possède le seul gisement de dragons, elle tente de retrouver ses marques, mais les étrangetés s'empilent sous ses yeux. Un dragon la choisit, elle, élève lambda, puis elle se rapproche de l'étrange Emmanuel, frappé par une tragédie qu'il essaie de mettre derrière lui. Ensemble, d'abord à contrecoeur, puis petit à petit liés par une quête, ils vont mettre à jour un secret qui les dépasse, et peut-être trouver chez l'autre plus qu'un simple compagnon de quête.

Le prologue est redoutable d'efficacité. La plupart du temps, dans les YA du genre, le roman est lent à commencer et à mettre en place son intrigue. Ici, c'est l'oeuvre de quelques pages. La plongée est vertigineuse et directe, et elle est terminale : c'est impossible de lâcher le roman une fois commencé tant l'intrigue est vive et palpitante. Elle ne relâchera le lecteur qu'au tout dernier mot, qui est peut-être le plus puissant et le plus efficace de tout le roman-un comble pour un contenu aussi riche et fort.

Les piliers de l'histoire, dès les premiers chapitres, sont sur le papier assez classiques : une école un peu fantastique, une architecture digne d'une sauvegarde UNESCO, des créatures magiques, une bande de trois copains, des cours, des dortoirs, des émois de jeunes adultes. Mais les codes sont repris et Anne-Sophie les dépoussière et donne un bon coup de peinture sur les murs défraîchis du style. On se retrouve avec des copains qui sont vraiment solidaires et ne se piochent pas le museau tous les trois chapitres, les cours ne sont qu'une vague excuse d'occupation puisqu'ils ne sont pas nécessaires à l'intrigue et que le lecteur n'en a pas besoin, et les émotions sont toutes maitrisées, et psychologiquement tout à fait crédibles.

Le personnage principal, Miya, est rafraîchissante de réalisme. Au lieu d'être une bonne élève lisse et sans failles, c'est une forte tête qui n'hésite pas à se lancer tête la première dans les ennuis, quitte à finir régulièrement à l'hôpital. Elle est intelligente, mais pas trop, suffisamment pour que jamais on ne se demande pourquoi les décisions qu'elle prend sont les siennes. Elle écoute sa voix intérieure, mais la questionne très régulièrement. Anne-Sophie capture à merveille l'étape délicate de la fin de l'âge adolescent, mais pas tout à fait l'âge adulte encore, avec ses hésitations et ses passions. Placée dans une situation où il manque à la jeune femme une partie de ses souvenirs, Miya sait comment progresser sans jamais se sentir désolée pour elle-même. Elle est dans la mouvance, dans l'envie de combler les trous et comprendre le monde dans lequel elle vit.

Autre élément très appréciable : tellement concentrée sur le coeur de son récit, l'autrice ne donne pas dans le "drama" suranné, typique du genre (les disputes entre personnages pour combler le vide). Ici, les parents sont équilibrés et aimants, le frère se chamaille avec sa soeur mais donnerait sa vie pour elle, et les amis, même accidentellement laissés de côté par une situation trop dangereuse et trop difficile à expliquer, ne partent pas dans des tirades furieuses quand Miya part régulièrement seule dans son coin. A la place, des relations solides, de confiance, des liens serrés entre les gens, et une image globale stable même quand elle cache des secrets. C'est comme si Anne-Sophie avait volontairement laissé de côté tout ce qui n'enrichit pas l'histoire. Cela trahit un travail préparatoire profond qui permet de poser toutes ces belles fondations.

Grace à tous ces éléments, le roman capte les lecteurs très rapidement, et ne laisse aucun répit, ni aucune chance de reprendre son souffle. le rythme est enlevé sans être jamais confusant, palpitant sans jamais être étouffant, rapide sans jamais se croire sprint, mais plutôt marathon.

L'intrigue est fragmentée et distillée petit à petit, entraînant le lecteur dans une enquête presque au sens littéral du terme. On découvre les indices en même temps que les personnages, et on observe les liens entre Miya et Manu dans la même vibration. Petit à petit, tel un puzzle, on sursaute, on tremble, on s'inquiète, on se met en colère, on pleure...C'est solide, extrêmement bien amené, et redoutable d'intensité. Et surtout, ça tient parfaitement la route. Tout est logique sans être attendu.

Il y a un double fil narratif, voire même un triple : le principal, les flashbacks de Miya qui sont stimulés par sa routine (la scène du jeu de basket qui lui rappelle sa course dans la nature...Incroyable parallèle) et une troisième ligne qui vient d'un ennemi invisible mais bien présent, et qui semble tirer les ficelles. le rythme est clair et bien découpé, et ces narrations ne se marchent jamais l'une sur l'autre. En outre, on perçoit clairement une menace qui plane et devient de plus en plus présente, comme si elle prenait progressivement de la vitesse. Cette intrigue, c'est un cheval de course lancé au triple galop.

L'élément fantastique du récit, les dragons, sont traités comme une réalité et non comme un élément dont il faut justifier l'existence. Anne-Sophie Hennicker les présente tels quels, une forme de faune qui subsiste dans le monde et surtout à Ebbstone. le fait qu'elle ne sente pas l'obligation d'en faire une biographie historique marche très bien, on accepte tout à fait l'idée que oui, ici, les dragons vivent, comme les oiseaux, les biches ou les chiens. Quand on les approche par le biais de Miya, on s'attarde sur des créatures absolument fascinantes, mais surtout très sensibles et parfaitement en accord avec leur humain. Au lieu d'une relation dominant/dominé, celle-ci se rapproche de l'amitié, voire même plus. Ils se protègent mutuellement, et leur caractère est un miroir de la personne à qui ils sont liés. Aussi, Spyral met en lumière certains aspects de Miya que le cadre d'Ebbstone ne lui permet pas d'exprimer : les restes de l'enfance, un véritable enthousiasme né pour les challenges, mais aussi une oreille attentive quant aux douleurs des autres. Il y une forme de connexion indicible entre Spyral et Pyrophone, qui semble lui aussi être un miroir de la relation entre Miya et Emmanuel.

Attention, spoilers à suivre !

Dans cet écrin YA fantastique, efficace et fort se trouve une perle, délicate et dévastatrice, sous la forme d'une romance qui emprunte les codes du Slow Burn (relation qui prend son temps pour s'installer, "slow burn" faisant référence à la flamme d'une bougie qui se consume lentement). La relation entre Miya et Manu part sur un très mauvais pied, mais petit à petit, ils comprennent qu'ils sont complémentaires, et avec eux, le lecteur commence à saisir la fameuse flamme qui s'allume tout doucement. On se languit, on souffre, on goutte la délicieuse brûlure du baiser qui refuse d'arriver. Anne-Sophie maîtrise parfaitement les codes, et elle sait tout à fait quand relâcher la pression et desserrer la bride à un flot d'émotions façon averse après une vague de chaleur : c'est rédempteur, libératoire et ça affole nos petits coeurs malmenés. Là où on aurait pu craindre une revisite maladroite de l'archétype "ennemies to lovers" (de la haine à l'amour), on est plutôt dans une situation assez subtile pour traiter de l'incompréhension de classe (spécialisés / réguliers) qui se brise petit à petit.

Non sans rappeler la façon dont elle écrivait le harcèlement scolaire dans Ne Renonce Pas, l'autrice soulève aussi dans une mesure moindre la question de l'intimidation entre élèves, même dans ce cadre particulier. Et tout comme dans Ne Renonce Pas, Anne-Sophie pose un cas de conscience quant à la façon de se venger des sévices d'un autre élève, et où est la limite entre victime et bourreau. Subtilement, elle provoque la réflection des lecteurs.

Fait rarissime dans les romains contemporains, la réutilisation d'un des plus grands principes narratifs en écriture filmique qui est ici doublement utilisée : le pistolet de Chekhov (principe qui veut qu'un indice insignifiant donné au spectateur dans la première partie du récit doit donner lieu à une grande révélation liée dans la partie finale). Une fois par rapport à Jay qui devient pièce maîtresse au moment le plus crucial, et une fois par rapport à un petit détail sur un dragon qui soulève en fait la plus grande révélation du roman. C'est d'autant plus fort que ce procédé est souvent mal utilisé, ou partiellement exploité. Ici, réussite totale pour les deux éléments.

Pour résumer, si vous cherchez un roman YA digne de ce nom à confier à vos enfants, vos neveux, les amis de vos amis, et tous les jeunes gens qui ont besoin de vraie bonne littérature jeunesse fantastique, ne cherchez plus, et faites confiance à Anne-Sophie Hennicker. Mais si vous êtes en dehors de l'âge-cible et en mal de romans intelligents et palpitants, faites-vous ce petit plaisir. Je m'en porte personnellement garante.

Lien : https://www.bookfluencers.io..
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