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Critique de AugustineBarthelemy


Dans une nature magnifiée, une crique protégée ayant pour particularité d'avoir une plage de jade, une famille comme tant d'autres se promène. Une petite fille vive, une mère dont la beauté égale sans peine celle de la nature, et un père en retrait, veillant sur sa famille. Il y a bien un orage au loin, et les vagues qui s'écrasent bruyamment sur les rochers. On rit d'abord de se faire éclabousser, on panique soudain quand la vague emporte la fillette, et que les flots ballotent les corps comme grains de poussière dans l'air. Et un choix s'impose au père : sauver la fillette ou perdre la femme de sa vie.

2002. Les Tours Jumelles se sont écroulées. Céline, 68 ans, est à son crépuscule, ses deux soeurs sont décédées avant que le monde s'effondre. La fin des mondes, cette artiste qui modèle des vanités, connaît bien, elle qui a fui Paris dans son enfance avant l'arrivée des nazis. Alors qu'elle dore un crâne, son téléphone sonne. Au bout du fil, Gabriela, une jeune femme à la recherche de son père, un grand photographe ayant travaillé pour National Geographic dans les années 70 et 80 et qui a soudainement disparu aux abords du parc de Yellowstone. Officiellement, il est mort suite à une attaque d'ours.

Entre Céline et Gabriela un jeu de miroir s'installe. Car la jeune femme et la vieille dame connaissent la même peine : celle d'une famille éclatée et la figure du père absent. Gabriela raconte son enfance, celle d'une petite fille qui a perdu sa mère, avalée par l'océan, et qui a vu son père s'enfoncer dans l'alcool pour oublier sa peine. Et qui n'a rien trouvé de mieux que de se remarier à une infirmière vénale et assez jalouse de l'absente pour envoyer sa fille vivre seule dans l'appartement du dessous alors qu'elle n'avait que huit ans. Pendant dix ans, l'amour paternel ne s'exprime qu'en cachette, par de petits gestes, discrets mais réels. Jusqu'à ce qu'il disparaisse définitivement, du jour au lendemain. Mais Gabriela ne croit pas en la version officielle, son père était un baroudeur averti, il avait parcouru l'Amérique du Sud, des Andes à la Patagonie, photographiant sans peur des animaux sauvages au plus près. Alors elle ne croit pas qu'il ait pu se faire surprendre par un banal grizzli.

L'histoire de Gabriela est un écho à celle de Céline, elle qui fut abandonnée par son père et qui, adolescente, se vit arracher sa fille. Aussi, l'artiste détective accepte ce qui pourrait être sa dernière enquête. Avec son mari Pete, un homme raisonné et raisonnable, elle part en camping-car, équipée de son foulard Armani, de son Glock et de sa bouteille d'oxygène, sur les traces de Paul Lamont.

Céline n'est pas un simple roman policier, l'enquête, qui ne démarre véritablement qu'au deux tiers du livre, n'est qu'un prétexte à évoquer son personnage éponyme singulier. Car Céline est un de ces êtres atypiques qui dégage un charme fou, que l'on aime croiser dans les romans et que l'on voudrait matérialiser dans notre réalité. Issue d'une riche famille, cultivant l'excentricité comme certains font pousser des tomates, elle est un mélange subtil entre force et fragilité. Des épreuves qui l'ont forgée sans l'endurcir, mais qui l'ont poussée dans certains excès, dont l'alcool et la cigarette. Une femme aussi à l'aise dans un tailleur Chanel qu'avec un semi-automatique entre les mains. Une artiste accomplie, à la sensibilité à fleur de peau, et une détective redoutable au sang-froid à toute épreuve. Une femme raffinée qui n'hésite pas à tenir tête à un gang de motards. Un portrait féminin entre ombre et lumière, toujours en quête, quête de soi, quête de cet autre qu'elle a dû abandonner et qui lui a inspiré sa vocation de privé.

Céline est un roman qui pourrait déplaire au lecteur non averti qui s'attendrait avant tout à une enquête palpitante et pleine de suspens. Enquête il y a, bien entendu, et celle-ci prendra un tour où l'Histoire n'est pas loin, flirtant un temps avec le thriller politique. Mais c'est avant tout à un road trip que Peter Heller nous convie. Un voyage dans la vie de Céline, ce personnage contrasté et étonnant, qui a vécu mille vies dans une seule. Un voyage qui explore aussi les relations familiales, le lien si particulier entre parents et enfants, les racines de toute une existence. le tout est sublimé par une écriture toute en finesse qui fait la part belle à la nature sauvage et indomptable dans les couleurs automnales et les douces lumières du crépuscule.
Lien : https://enquetelitteraire.wo..
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