- Fais attention. Elle aime personne d'autre que moi et il y a même des jours où elle ne m'aime pas. Elle s'appelle Sarah.
- Elle est de quelle race ? Sarah souriait à la chienne, car il était miraculeux que toutes les deux portent le même prénom.
- Il y a chez elle du berger australien mâtiné d'autre chose, peut-être du pitbull. Elle croit que toutes les terres des environs lui appartiennent.
Elle se sentait souvent incapable d’assumer le poids de sa propre existence, et il était alors merveilleux de se réfugier dans les livres.
Le truc le plus dur pour les gens, c’est la vie non vécue.
N’ayant jamais appris à s’apitoyer sur les autres, elle n’éprouvait aucune pitié pour elle-même.
Une certaine solitude faisait partie des criantes évidences de la vie.
En mettant les pommes de terre au four et en préparant la tourte au gibier, Sarah réfléchit à la perplexité où la plongeaient les poèmes de Wallace Stevens ; or le sentiment de trouver une solution la faisait toujours penser à une chose à laquelle elle n'avait jamais pensé auparavant. Elle se rappela alors un rêve troublant de la nuit précédente et se dit tout à trac qu'elle devait faire grandir sa vie pour que son traumatisme devienne de plus en plus petit.
Cinq ans et demi plus tôt, quand avec sa famille elle était partie vers l'Ouest et qu'elle était entrée dans le Dakota du Sud, Sarah avait regardé au-dessus de l'épaule de son père et aperçu au loin les immenses formes sombres des Black Hills, et elle avait alors décidé de ne pas en croire ses yeux. Les premières montagnes que voit une fille de l'Ohio habituée au plat pays sont mentalement inacceptables.
Ses études par correspondance avaient développé chez elle l'âme d'une solitaire, et sa vie s'était écoulée sans cette dizaine de tocades adolescentes qui font la jonction entre l'enfance et la puberté, cette terrifiante injustice qui veut qu'on tombe amoureuse d'un être qui ne remarque même pas votre existence.
" Non, dit-il, la vie m'a mis sur la touche pour que je puisse l'observer. "
Il y a soixante ans, ma mère m'a dit de traiter toutes les femmes comme si elles étaient ma sœur. Même à l'époque, je me suis demandé comment dans ces conditions la race humaine pouvait bien perdurer.