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Critique de horline


Des cailloux jetés contre les volets clos, une sonnerie brève de téléphone portable….voilà comment un énigmatique auteur invite ses amis pour un dîner sur la Nuit Morave, péniche sur laquelle il a trouvé refuge et qui est amarrée sur un affluent serbe du Danube, cachée par les forêts alluviales. Dans ces "Balkans aux mille frontières invisibles", "toutes mauvaises et profondément hostiles", cette péniche fait figure de havre de paix au milieu de la nuit sombre et inquiétante, bercée par les seuls croassements des grenouilles. Dans cette étrange atmosphère, celui qui a désormais abjuré l'écriture démêle avec l'aide de ses convives les fils d'un récit polyphonique qui retrace le périple de cet homme plein de tics et de manies à travers l'Europe de l'Ouest, entre errance poétique et horizons décisifs dans la découverte de soi.

C'est un récit étrange, puissant qui n'a rien de familier car à la voix des invités anonymes se mêle la voix profonde de l'ancien auteur révélant un regard singulier, onirique qui rayonne "d'une gravité recueillie". Il raconte durant cette longue nuit sombre, silencieuse et mystérieusement menaçante "son monde intérieur personnel comme le monde extérieur universel"… il raconte sa vie telle qu'il l'imagine entre impressions, questionnements et divagations au fur et à mesure de ses rencontres réelles ou imaginaires, de ses déplacements dans des lieux existants ou fictifs.
Si bien que parfois en tant que lecteur on a le sentiment d'être resté sur la berge alors que cet auteur solitaire et sans nom dérive au milieu de ses idées et de ses excentricités : c'est un récit éclaté explorant les possibilités humaines dans un style qui estompe les lois traditionnelles du temps et de l'espace du roman, il n'obéit à aucune trame linéaire, à l'image des pensées du conteur. Il y a par ailleurs chez l'ancien écrivain une obsession du mot juste, du "détail-étincelle", de la phrase lumineuse pour aboutir à une langue qui n'a rien de conventionnel.
Il décortique aussi bien les moments que les mots, il n'y a rien de purement instinctif.

Mais ce récit se révèle extraordinaire, envoûtant lorsqu'on marche dans les pas aériens de l'ancien auteur. Il appartient au lecteur d'accueillir la réalité de cet homme singulier, de se soustraire des frontières de la littérature pour percevoir quelque chose de l'ordre de la beauté rare.
On découvre alors un texte cohérent où les pensées et instantanés forment le portrait d'un homme désenchanté, nostalgique, en proie à un danger intérieur qui, à l'occasion de son voyage, se confronte à ce qu'il avait imaginé et qui s'était gravé en lui. Il y a réellement une trajectoire, un parcours structuré par la recherche d'un langage. Entre raccourcis et échappatoires imaginaires, il se confronte ainsi aux exigences de son histoire pour se débarrasser de convictions qui l'empêchaient jusque-là d'envisager une ouverture sur les temps à venir, du sentiment de culpabilité et de la solitude à laquelle il se croyait destiné.
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