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Critique de audelagandre


Noah Turner, le plus jeune d'une fratrie raconte l'histoire de sa famille : sa mère Margaret, son père Harry, ses deux soeurs Eunice et Sidney. Une famille presque ordinaire si ce n'est une certaine fascination morbide du père à susciter délibérément l'envie de faire peur à autrui. Mais ce roman retrace également une magnifique histoire d'amour, l'attraction quasi magnétique de deux êtres qui ne pourront pas vivre séparés en dépit de leurs différences. Ainsi Noah, narrateur de cette histoire, évoque les années 60 et la rencontre de ses parents, puis les années 80 où la famille s'agrandit de deux petites filles, deux périodes où il ne faisait pas encore partie de l'histoire familiale, pour terminer en 2013. Dans la famille Turner, chaque membre semble atteint d'une forme de mal pathogène, transmise par le père, lui-même victime d'une tumeur au cerveau qui lui donne cet aspect de génie un peu fou, obnubilé par des projets bizarres et originaux, comme la création de cette gigantesque maison hantée dans son jardin. Ce projet, cette envie, provoquer la peur chez l'autre devient alors un business familial qui traversera les années, bien après sa mort, surtout porté par ses deux filles qui tentent désespérément de maintenir son souvenir vivant. À mon sens, le roman aborde surtout deux thématiques essentielles : l'existence du père a-t-elle généré l'apparition de monstres, et enfin, qu'est-ce qu'un véritable monstre ?

La grande force de ce roman réside dans la mise en place des personnages et la création d'une ambiance très particulière, basculant d'un simple récit de l'histoire familiale à un monde plus fantastique et surnaturel. Si les débuts du récit peuvent apparaître lents, il n'en reste pas moins une volonté à prendre son temps pour installer une atmosphère et des personnages à la façon de Stephen King. En cela, vous retrouverez certainement le fantôme du King rôder à travers les pages. Pour obtenir cette désagréable sensation qu'une ombre supplémentaire, omniprésente erre, Shaun Mill entre dans les secrets et les travers d'un foyer construit sur un chef de famille défaillant cérébralement, en décortiquant chaque détail, même le plus anodin, chaque réaction, chaque sensation. La psychologie des personnages en devient si détaillée que le lecteur a vraiment l'impression d'en être un témoin privilégié, comme une sorte de monstre caché dans le placard. (le lecteur est-il lui aussi une forme de monstre ? Je pose la question…)

Monstre il y a, n'en doutez pas… mais pas toujours de ceux qu'on croit… L'auteur ajoute ainsi la part de fantastique similaire aux oeuvres du King, ni trop peu, ni pas assez, juste ce qu'il faut pour que l'histoire semble suffisamment originale pour qu'elle puisse emporter le lecteur.

Pourtant, et c'est un point qu'il me semble nécessaire de soulever pour apprécier cette oeuvre à sa juste valeur, les références à la littérature fantastique sont multiples. Ainsi les oeuvres cinématographiques ou littéraires, telle l'omniprésence des références à Lovecraft, me semblent primordiales pour apprécier l'atmosphère profonde d'épouvante sous-jacente que l'auteur a voulu insuffler à son roman. Il m'a donc manqué cette connaissance pour une appréciation plus juste de ce texte. Il me faut dire également que ce type d'ouvrage m'a complètement sortie de ma zone de confort : c'est le premier livre de la collection Albin Michel imaginaire que je lis. Devant l'enthousiasme général, il me fallait tenter cette nouvelle aventure de lecture !

Pour ne pas délibérément spoiler le contenu du roman, je ne peux dévoiler ici ce qui m'a véritablement gênée. Mais, en refermant le livre, je m'interroge sur la notion de monstre. Sommes-nous capables d'inventer un monstre de toute pièce pour faire taire les frustrations et déceptions dont nous sommes victimes dans le cercle familial ? Que sommes-nous capables d'imaginer pour collecter le peu d'amour que nous estimons être en droit de réclamer ? Incontestablement, ce roman est sujet à questionnement, surtout sur la partie fantasmagorique qui y est introduite. Certains y verront une simple plongée dans le domaine fantastique, d'autres une dimension plus psychanalytique par l'introduction de cet autre moi que je crée pour illuminer mon quotidien. Vous vous ferez votre propre idée sur le sujet si vous décidez de tenter l'aventure de cette lecture.

En éliminant volontairement la dimension fantastique de l'analyse du roman, je voudrais dire que Shaun Hamill parvient, comme le King, à susciter une véritable empathie et une affection particulière pour chacun de ses personnages. Les 200 premières pages sont éblouissantes dans la transmission des émotions liée à la découverte des personnages. Chacun trouve sa place, mais mon empathie va spontanément vers Eunice, âme torturée, vous comprendrez pourquoi. Dans cette famille particulière, dont les membres ne savent pas communiquer entre eux, chacun est un peu un monstre qui vient chatouiller les orteils de l'autre, persuadé que le monstre, c'est justement l'autre. Et pourtant, en collant les destins de Noah et de son père qui ne se connaissent pas, le lecteur prend bien conscience que chacun possède en lui, une part cachée, souvent monstrueuse.

Lien : https://aude-bouquine.com/20..
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