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Critique de Kirzy


Voilà un auteur qui sait écrire l'action, direct en deux premiers chapitres à la fois concis et marquant qui emmènent le lecteur en Indochine : une soirée diplomatique en mars 1945 entre officiers français et agents du Kempetai ( la police militaire japonaise aux méthodes proches de la Gestapo ) qui vire à la tuerie ; puis la mort du célèbre photo-reporter de guerre Robert Kovacs ( clone de Capa ) quelque part dans les montagnes à la frontière du Laos en septembre 1953 alors qu'il accompagnait un commando français. Scènes de bravoure admirablement narrés.

Et puis on fait la connaissance de celle qu'on va suivre jusqu'au bout, celle qui sera nos yeux dans cette Indochine coloniale tellement complexe. Elizabeth Cole est journaliste au prestigieux Life Magazine, aux pages mondaines alors qu'elle ne rêve que d'aventures, piégée dans le carcan confortable de la très haute bourgeoisie new-yorkaise qui l'ennuie profondément. La disparition de Kovacs lui donne l'opportunité de mettre un pied dans la porte, elle est envoyée en Indochine pour le remplacer tout en enquêtant sur la mort de son prédécesseur, elle est persuadée que la version officielle de sa mort est mensongère.

Elizabeth, c'est le genre d'héroïne qu'on adore aimer. Même si on peut trouver peu vraisemblable qu'une photographe habituée aux défilés se retrouve sur un front de guerre, la transformation que propose Laurent Guillaume a un côté film hollywoodien des années 1950 vraiment très chouette. Bien au-delà de la caricature initiale de la très belle nana gravure de mode, on la voit devenir crédible en rangers et treillis, et faire face avec classe et détermination aux enjeux géopolitiques qui la dépassent en nouvelle Lee Miller ou Gerda Taro.

De façon générale, tous les personnages qui gravitent autour d'elle sont excellemment campés. La Saïgon de 1953 est un effervescent nid d'espions ambiance Guerre froide, grouillant d'agents chinois du Qingbao ( la Chine est le principal financier du Vietminh, bras armé du parti communiste vietnamien ) et de la CIA ( soutenant les Français colonisateurs ) en mode guerre d'influence, de Français débordés par les événements mais aussi de nervis de la secte caodaïste ( à la fois nationaliste et anticommuniste ), d'agents britanniques comme le savoureux Graham Fowler ( bel hommage à Graham Greene ) et de mafieux corses. Tout le monde avance dans l'ambiguité, affublant plusieurs masques qui tomberont au fil de l'intrigue, bien loin de ce qu'on avait pu imaginer initialement.

On sent à quel point l'auteur s'est documenté sur la Guerre d'Indochine et la société coloniale indochinoise. Là, on est à la fin de la guerre, les Français ont déjà perdu. Diên Biên Phu arrive. La reconstitution de Saïgon et des batailles guérillas sont totalement immersives.

La difficulté dans un un roman historique, c'est de trouver un équilibre entre décor et récit, le premier ne devant pas empiéter sur le récit ni l'alourdir, et en même temps, lorsque L Histoire est aussi riche, il faut qu'elle soit présente et compréhensible pour un lecteur non initié sur la période ( j'en suis ). Laurent Guillaume a trouvé un équilibre intelligent : malgré la complexité de la trame et sa densité, le récit est lisible et très prenant.

«  Au mieux la population indigène nous craint, au pire elle nous hait. Nous ne tenons plus que quelques zones éparses, les villes et quelques bases isolées, quand le reste du pays est tout entier dans la main des Viets. En métropole, tout le monde s'en fout. le Français se préoccupe plus du prix de la baguette que de cette guerre du bout du monde. Les hommes politiques veulent qu'on se batte sans avoir à mettre la main à la poche et, pendant ce temps, nous versons notre sang et nous enterrons nos morts. »

Du coup, je me suis régalée. J'ai appris plein de choses sur cet épisode d'une décolonisation inéluctable, sur la stratégie d'une armée française sans finance suffisante, tentant de ne pas perdre ce territoire en s'appuyant sur des commandos borderline constitués de Méos, peuples de montagnards, excellents guerriers qui détestent les Vietminhs, encadrés par des vétérans français de la 2GM, pour mener des opérations de guerre non conventionnelle ( sabotages, guet-apens, renseignements, assassinats ). C'est assez saisissant, surtout lorsqu'on découvre ce qui se cache derrière la mort de Kovacs.

Et je me suis tout autant régalée de ce roman d'aventures et d'espionnage comme on n'en fait plus beaucoup. Un plaisir très premier degré qui fait du bien. du souffle et du pur romanesque, tout en rendant hommage aux reporters de guerre dont le travail permet de de mettre en garde contre sa banalisation de la violence. J'attends le deuxième volet de cette trilogie Les Dames de guerre, il devrait être centré sur un personnage féminin qu'on aperçoit très furtivement et qu'on pressent éminemment charismatique.
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