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Critique de Meps


Meps
20 février 2022
Écrire sur l'enfance, et en particulier sur la sienne, est plutôt une garantie de succès littéraire. On est particulièrement touché par les héros enfants, sans doute parce qu'ils nous renvoient tous à une expérience personnelle ou aux enfants qui nous entourent, fils, filles, neveux, nièces. Pourtant quand on pense à sa propre enfance, on a toujours un doute : mes souvenirs sont-ils réellement les miens ou le mélange savant des anecdotes qu'on m'a raconté et des images marquantes qui imprègnent ma mémoire comme des flashs, mais sans la consistance d'un souvenir précis qui me permettrait de bien le raconter. Par exemple je sais que j'ai goûté pour la première fois à l'alcool en récupérant une goutte sur la table de chevet de mon arrière-grand père malade, dans la maison de repos où il a fini ses jours. Je le sais parce que j'ai le souvenir flash de ce goût écoeurant et d'un très vieux monsieur malade sur un lit et que ma mère a fait le lien avec les visites régulières qu'elle faisait avec moi quand j'étais très petit (3-4 ans). Mais de là à réellement me rappeler ce que j'ai pensé à l'époque, ce que j'ai pu observer, le chemin est long.

Pourtant c'est à cette tâche que s'attelle Gong Ji-Young dans ce livre. En effet, elle décrit son enfance de 4 à 6 ans, en tentant réellement de recréer cette période le plus possible à partir de ses propres souvenirs. Elle indique régulièrement quand les souvenirs s'appuient sur ce que sa mère lui a raconté, sur les photos d'un évènement, mais son récit est surtout constitué du regard de cette petite fille sur les adultes, un regard très mature (et que l'on peut donc supposer aussi forcément reconstruit à partir de ce que l'auteure est aujourd'hui) mais finalement un regard également très original, notamment dans le rapport entre ce que les adultes pensent des enfants et ce que les enfants comprennent de ce qui se joue entre les adultes. Elle décrit notamment très bien ce doute qu'ont les adultes quand les plus jeunes enfants sont témoins de choses qu'ils n'auraient pas du voir... puis ce moment rassurant où ils se disent "Mais non, voyons, elle est trop jeune pour comprendre tout ça !". L'auteur nous donne son point de vue assez simple "Méfiez-vous, ils comprennent vraiment tout... avec leurs grilles du moment, mais ils enregistrent tout".

Au-delà de l'exercice narratif d'un point de vue enfantin le plus sincère possible, le but du livre est également de nous parler de la tradition des bonnes en Corée du Sud, ces jeunes filles que des familles "adoptent" et qui partagent le quotidien de la maison comme si elles étaient une enfant supplémentaire... mais bien avec le rôle de participer avant tout aux différentes tâches ménagères et de garder les enfants les plus jeunes et la maison quand tout le monde est parti. Cela m'a fait penser en miroir à la kafala musulmane qui fonctionne principalement sur le même modèle, loin de nos adoptions occidentales qui cherchent à donner un statut égal à tous les enfants. L'attachement de l'auteure pour cette soeur qui s'est plus occupée d'elle que sa mère et avec qui elle entretient un rapport de sororité à la fois puissant et étrange est vraiment au coeur du livre et explique d'ailleurs tout simplement le titre.

Pour un lecteur occidental, le livre est forcément également le lieu de la découverte du mode de vie coréen, d'autant que l'auteure a pu dans son enfance vivre la pauvreté profonde puis la montée dans l'échelle sociale après le retour du père parti faire des études aux Etats-Unis. On assiste donc aux questionnements d'une toute petite fille face à toutes les différences sociales et elle nous décrit dans le même temps ce qui constitue son quotidien et sonne si "exotique" à nos oreilles. La construction d'une identité, d'une personnalité face à tous ces bouleversements est vraiment intéressante à observer.

Enfin, j'ai trouvé aussi que, contrairement à ce que j'avais pu constater chez beaucoup d'auteurs asiatiques, souvent dans la retenue et la pudeur au niveau de l'expression des sentiments et des relations amoureuses, j'ai découvert ici un ton plus direct et décontracté. L'auteure est très reconnue dans le pays pour ses combats menés pour la défense de la démocratie, le droit des minorités, et elle est je pense une voix à suivre pour mieux comprendre la Corée d'aujourd'hui.

En conclusion, je rapporte ici sa réaction après que le parti conservateur coréen ait réclamé contre elle des enquêtes afin de mieux connaitre ses activités politiques . Elle a écrit alors sur Twitter "Merci au Grand Parti national pour m'avoir rendu populaire à l'international", consciente que l'Occident ne pouvait que s'intéresser à une écrivaine qui remettait en cause le dogme du Parti au pouvoir.
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