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Critique de LeScribouillard


Journal de bord de la version de l'Univers-miroir du maquisard Scribouille : ayant été malencontreusement projeté dans le Haut Moyen Âge terrien, je me retrouve en plein milieu d'un conflit incompréhensible où je découvre l'opportunité de fonder l'Empire terrien plusieurs siècles plus tôt. Les primitifs sur place m'adorent comme un dieu : je dispose de toutes sortes de gadgets pouvant me servir de verroteries. Et puis je suis beau comme un dieu…
— Vertuchiasse, messire Jacouille, j'aurai dû vous laisser avec votre complice Michel ! Cessez de causoyer tout seul ou je vous embroche les roubignoles entre deux tranches de nave !
— Inutile de vous emporter, mon petit ! Écoutez, tirez moins fort sur mes chaînes, et faisons une halte. du reste, soyez mignonne et apportez-moi mes pantoufles.
— Cornepine, misérable foutreux ! Vous imaginez-vous que je m'en allions vous faire une pipaille, par-dessus le marchois ?
— Eh bien, je serais pas contre, avouez que je suis plutôt sexy.
— Vous estoyez un régicide et un soutien de tyrans illégitimes, et je suis bien déterminée à vous livrer à notre bon souverain, afin que vous receviez les tourments de la justice divine. Et cessoyez de me reluquailler les nichouilles !
— Vraiment ? Une tyrannie, c'est dans les pays sauvageons, déjà ! Il fait froid, les gens ont des bottes à lacets et ils enculent des mammouths ! Voilà, ce que c'est, une tyrannie, Brienne !
— Ah oui ? Et comment appelloyez-vous un régime dont le chef est vénéré comme un dieu, où les paysans se voient confisqués toutes leurs terres, et où le moindre contrevenant est puni par décollation sur place publique ?
— J'appelle cela la France, ma mie. Et pas n'importe quelle France : la France d'Éric Zemmour.
— Baste ! Assez parlotté ! Faisez-nous donc un feu, pendant que je montoie le guet ! Vous aurez tout loisir de me conter la suite de votre histoire de Sept Couronnes.
— Très volontiers, ma mie. Et sachant que la Garde de Nuit ne parvient plus à tenir le Quatrième Mur, je vais en profiter pour instruire aussi mes fidèles lecteurs.
A Storm of Swords, donc. Troisième tome du Trône de Fer après un précédent volume suffisamment sordide pour me faire perdre la fougue qui me faisait dévorer jusqu'ici les centaines de pages de la saga, je m'attendais à retrouver la même passion pour les intrigues complexes, mais également le même pessimisme et les mêmes défauts. Et effectivement, tout n'est pas parfait : George Martin ne nous épargne pas grand-chose de la culture du viol qui hantait l'époque médiévale (et tant d'autres encore), même lorsque ce n'est pas spécialement utile de la montrer (je pense notamment à quelques chansons dont un contenu différent n'aurait a priori rien changé au récit). Martin semble d'ailleurs ne pas avoir une connaissance aussi élaborée du sexe au Moyen Âge que certaines autrices (pourtant bien moins talentueuses) comme Kirsten Britain : si l'on ne veut pas qu'on sache que les noces n'ont pas été consommées, pourquoi ne pas simuler l'accouplement, et tout de suite après montrer des draps tachés de sang de porc ?
Toujours sur le plan du sexe, on regrettera quelques longueurs inutiles sur la romance de Tyrion avec sa douce Shae : on le sait, que leur bonheur ne peut être qu'éphémère mais qu'ils adorent faire des plans Q, sauf qu'il y a un chapitre qui ne parle littéralement que de ça ! Et lorsqu'arrive le cinquième acte de leur tragédie se produit un cliché que j'avais déjà pourfendu dans un manga pour le moins minable (vous cliquez à vos risques et périls, d'une part parce que vous allez vous faire spoiler Game of Thrones, d'une autre parce que vous n'avez pas envie de découvrir cette chose : https://cestpourmaculture.wordpress.com/2023/09/23/rise-of-the-shield-hero-la-fantasy-bidon-de-lessive/). Bon, on a des doutes sur la loyauté du personnage et après tout il est pris en étau, donc pourquoi pas. Reste que Tyrion pour se venger commet un truc digne d'un incel de Twitter qui je l'espère lui retombera sur la gueule, sinon je vous avoue que le message envoyé craint un peu.
Sans compter que ces fameuses longueurs se retrouvent aussi à d'autres endroits : on découvre ainsi des scénettes censées renforcer l'introspection des personnages, chose déjà assurée par leurs nombreuses pensées retranscrites entre deux descriptions (que le lettriste oublie quasi-systématiquement de mettre en italique, merci Pygmalion / J'Ai Lu). S'ensuivent d'innombrables discussions diplomatiques, un name-dropping de plus en plus touffu… et entre la poire et le fromage, on apprend brusquement la mort d'un des principaux méchants, qui ne nous est même pas montrée.
Pour terminer le chapitre des doléances, voici le moment de Sola-bashing que vous attendiez tous : les adresses au lecteur passent sans cesse du tutoiement au vouvoiement, des termes inutilement compliqués (« bourse » devient « aumônière », « extraction » devient « extrace ») et quelques grossières répétitions comme ce « vola voler » (p 837) viennent ternir un texte tout en efficacité. le racisme, encore une fois, se fait sentir : après les « nègres » et les « bicots », on se retrouve cette fois avec du « bois d'ébène ».
Et pour autant… J'ai retrouvé foi en la série.
Car même si comme d'habitude rien ne nous est épargné niveau violence (à part les viols qui sont toujours en off, et j'en remercie chaudement l'auteur), la noirceur refait passer à nouveau un peu d'espoir : nous entrons dans la tête de Jaime Lannister, que le tome 1 nous montrait comme un parfait salopard, et découvrons qu'il n'a pas été (et ne sera peut-être pas toujours) une brute insensible. Même constat chez le cruel chevalier Sandor Clegane, qui va faire preuve de gratitude envers une de ses vieilles connaissances alors qu'ils se haïssent cordialement. On jettera un regard sympathique sur le justicier Béric Dondarrion, noble au grand coeur tentant de réparer les sévices de la guerre. Surtout, on ne pourra pas s'empêcher de s'émouvoir du sort de personnages foutus d'avance qui parviennent quand même à s'en sortir : le jeune Tourte, à qui il faudra malgré tout faire ses adieux, ou encore Samwell Tarly, le grand poltron de la Garde de Nuit, qui possède peut-être bien plus de courage qu'il ne voudrait le croire.
Par-delà la question de si la série se veut moins fataliste ou non, on sent que Martin cherche par moments à se moquer de son propre cynisme : ainsi de Kraznys mo Naklo, sans doute son personnage le plus négatif avec lord Craster, Gregor Clegane et les deux Bolton. Tout comme eux, il est un tortionnaire omnipotent et égocentrique, mais en plus de tout ça doublé d'un énorme beauf. Les plaisanteries qu'il lance à Daenerys sont d'un mauvais goût absolu, chose que tente désespérément d'édulcorer son interprète… sans se douter que Daenerys comprend tout !
Trois grands axes me laissent clairement penser que la saga va vers toujours plus de qualité : tout d'abord, l'arc des sauvageons avec Jon Snow. Alors que l'Orient qu'explore Daenerys reste décadent et fourbe, la culture du (des ?) peuple(s) libre(s) de par-delà le Mur n'est plus du tout essentialisée, et nous découvrons grâce à la douce Ygrid qu'il n'y a pas plus d'ordures irrécupérables comme lord Craster là-bas qu'ailleurs. Comme on pouvait s'en douter, le très sympathique Mance Rayder n'est pas tant un conquérant furibard qu'un homme prêt à tout pour sauver son peuple de la terrible menace qui se trame depuis le début de la saga, et tant pis si cela signifie envahir le pays voisin.
Ensuite, Daenerys ne se laisse plus dicter sa conduite par les hommes censés l'aider, tels que l'abject Viserys, le bon mais paternaliste et brutal Khal Drogo, ou encore le servile mais possessif Jorah Mormont. Tout comme elle essayait déjà de mettre de l'eau dans le vin des guerres dothrakies, elle s'éprend de justice sociale en voulant délivrer les esclaves de cités-États cruelles. Sauf que ce n'est toujours pas traité sous le prisme du sauveur blanc : ses victoires sont toujours imparfaites, sans compter qu'elle et ceux qui se réclament d'elle ont de grosses tendances du type « camarade Staline ». Deux solutions s'offrent à elle pour les prochains tomes : ou bien continuer de s'ériger en déesse vivante au-dessus des autres, ou bien accepter de s'entourer de personnes venant des pays qu'elle explore, et donc les connaissant bien mieux. Cependant, vu le pessimisme de notre histoire, il ne fait guère de doute que Martin choisira l'issue la plus ténébreuse…
Enfin, parlons-en, de la fameuse menace en question. Aucun roi ne daigne s'en soucier : Robb est bien trop occupé à guerroyer, et son légalisme à géométrie variable laisse entendre que c'est peut-être le début de la fin pour ses rêves de conquête (effectivement, ce au-devant de quoi il va est pour le moins terrifiant) ; Stannis, drapé dans ses postures shakespeariennes, ne se met pas non plus au courant de ce qui se passe au-delà du mur ; la maison Greyjoy ne fait guère plus parler d'elle depuis un certain revers à la fin du tome 2 ; mais surtout, du côté des Lannister, on préfère laisser les sauvageons détruire le Mur et piller le Nord du pays, si jamais ça peut faire dégager des ennemis. Comment s'étonner que l'on ait comparé la tragédie du Trône de Fer au réchauffement climatique ? Une immense catastrophe arrive, et tout ce que trouvent à faire les principaux dirigeants, c'est diviser pour mieux régner… et tant pis si ça risque de leur retomber dessus plus tard.
Bref, j'ai passé un rudement bon moment devant ASOS et suis impatient de découvrir la suite des (més)aventures de tous ces personnages. Les nombreuses péripéties totalement imprévisibles, la critique sous-jacente de luttes de pouvoir qui marchent sur la tête, la dénonciation permanente et sans fards de l'hypocrisie et de la brutalité des puissants, tout cela en fait un passionnant sujet de réflexions pour notre monde ou encore pour bâtir de futures histoires. Je lirai avec intérêt A Feast For Crows, même s'il est parfois réputé moins bien, car après tout, c'est pour ma culture…
C'est pour ma culture remercie gracieusement le wiki de la communauté La Garde de Nuit, sans quoi cette lecture aurait été beaucoup plus laborieuse.
Lien : https://cestpourmaculture.wo..
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