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Critique de SeriallectriceSV


En avant-propos, Laurent Gaudé nous livre ce qu'il attend de la poésie :
« Je veux une poésie du monde, qui voyage, prenne des trains, des avions, plonge dans des villes chaudes, des labyrinthes de ruelles. Une poésie moite et serrée comme la vie de l'immense majorité des hommes. Je veux une poésie qui connaisse le ventre de Palerme, Port-au-Prince et Beyrouth, ces villes qui ont visage de chair, ces villes nerveuses, détruites, sublimes, une poésie qui porte les cicatrices du temps et dont le pouls est celui des foules. »

Et un peu plus loin :
« Nous avons besoin des mots du poète, parce que se sont les seuls à être obscurs et clairs à la fois. Eux seuls, posés sur ce que nous vivons, donnent couleurs à nos vies et nous sauvent, un temps, de l'insignifiance et du bruit. »

Laurent Gaudé écrit cette poésie, celle qui s'écrit à hauteur d'homme, celle qui vibre de colère, de rage, d'espoir, celle qui porte un regard profondément humain sur la vie d'hommes et de femmes opprimés.
Il témoigne de ce qu'il a vu, ressenti, il est la voix des laisser pour compte, des oubliés de l'Histoire, des réfugiés de la jungle de Calais, des esclaves, des Kurdes, des habitants de Haïti après le tremblement de terre et vivant dans une extrême pauvreté, des victimes d'attentats.

« de partout sortent des souvenirs,
Cris,
Chants,
Appels de la mère à l'enfant,
Promesses,
Noms des dieux,
Des villages,
De partout,
La mémoire qui rayonne,
Douloureuse mais fière
Qui dit simplement qu'ils ont été
Hommes et femmes écrasés, coupés, soumis. »
Une poésie militante et humaniste, tout comme le sont ces romans, tout aussi poignants les uns que les autres.
« Et pourquoi pas la joie ?
Au milieu de nos villes escaliers
Où les murs de parpaing suent du béton,
Où les fils électriques dessinent, sur les toits, des ciels d'araignées,
Et pourquoi pas la joie ?
Le temps d'une corde à sauter qui fait tourner le monde,
D'un ballon fatigué qui court de jambes en jambes
Et soulève la pauvreté dans les cris d'enfant,
Et pourquoi pas la joie ?
Les pieds dans l'immondice
Mais le regard droit. »

Le septième poème qui porte le nom du recueil m'a interpellée, a réveillé en moi comme un sentiment de culpabilité, d'impuissance. Laurent Gaudé y accuse l'Europe d'opérer un repli sur soi, d'ouvrir ses frontières pour les rentrées d'argent et de les fermer pour les migrants, de ne pas tendre la main aux réfugiés, d'avoir perdu son esprit de fraternité, sa dignité. Nous vivons dans un monde qui se replie sur lui-même, alors que nous aurions aujourd'hui les moyens de subvenir aux besoins de tous. L'auteur y évoque aussi ses origines et par là même, le lien qui relie les peuples vivant d' Europe et de Méditerranée.

« L'Europe
Qui, aujourd'hui, a des airs de vieille dame frileuse.
Chacun fait ses comptes,
Chacun se demande s'il y aurait moyen d'avoir un rabais,
Payer moins que celui d'à côté.
On veut bien ouvrir ses frontières si cela fait rentrer l'argent,
Mais à tout prix les fermer devant les réfugiés.
L'Europe sans joie, sans élan, sans projet
Comme un bâtiment vide.
L'Europe,
Et ma génération qui la croyait acquise
Sera peut-être celle qui l'enterrera. »

L'émotion est au détour de chacune de ces pages tournées, l'écriture est forte, lumineuse, si humaine. Elle est un cri, elle est dur à lire, à dire, à écouter, à entendre mais elle est nécessaire, et emplie de chaleur, traversée d'une lumière d'espérance.
Lien : https://seriallectrice.blogs..
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