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Critique de Malaura


Sait-on jamais comment naissent les histoires d'amour ?
Le destin frappe sans crier gare, à moins que ce ne soit le hasard, ou encore, peut-être est-ce les dieux-singes qui provoquent ces rencontres impossibles, insensées ?… « Des dieux-singes qui dansent sur notre dos, invisibles, sous couvert de destin, de fatalité, d'aveugle hasard, et nous versons nos vies pour leur verser à boire. Peut-être se réunissent-ils chaque soir, regardent-ils en bas et discutent-ils la qualité du programme » ?...
Entre Michel et Lydia, la rencontre est abrupte comme une collision. Il descend d'un taxi et la heurte en ouvrant la portière, pains, oeufs, lait…sur le trottoir.
Un seul regard et il sait que c'est elle.
Elle, avec ses longs cheveux blancs tumultueux, ses rides autour des yeux, son air désemparé.
Elle, qui remplacera Yannick, la femme chérie, adorée, idolâtrée, avec laquelle il formait le couple parfait mais qui, atteinte d'un cancer incurable, souhaite mourir seule, dans la dignité. Auparavant elle lui a fait promettre de retrouver une autre femme pour « profaner le malheur » et perpétuer l'amour, «je suis obligée de te quitter. Je te serai une autre femme. Va vers elle, trouve-là, donne-lui ce que je te laisse, il faut que cela demeure. La plus cruelle façon de m'oublier, ce serait de ne plus aimer.»
Mais Lydia est-elle à même d'accepter cet amour que lui offre Michel, un inconnu rencontré sur le bord d'un trottoir ?
La vérité est que la vie les a jetés aux orties l'un et l'autre…
Six mois plus tôt, le bonheur que Lydia croyait acquis lui a été ravi. Sa petite fille est morte dans un accident de voiture et le conducteur, son mari Alain, en porte irrémédiablement les séquelles. Atteint de jargonaphasie, il a perdu tout contrôle du langage. Lydia se sent honteuse ne plus arriver à aimer ce qu'il est devenu, la culpabilité et le chagrin la rongent.
Alors…alors peut-on entrer en amour comme on entre en résistance ? « Il ne suffit pas d'être malheureux séparément pour être heureux ensemble »…
Pendant toute une nuit, ces deux-là vont s'aimer, se découvrir, s'épauler, s'entraider, se raccrocher l'un à l'autre, unir leur détresse, laisser parler leur coeur, partager leur vision du couple et de l'amour.
Ces « deux désespoirs qui se rencontrent » pourront-ils devenir un espoir pour demain ?

Si le sujet est triste, grave et douloureux, Romain Gary réussit à en délivrer une très jolie histoire douce-amère, aux ambiances tamisées, aux contours clairs, harmonieux, chargés d'espoir.
Au côté de ces deux êtres en déroute, des personnages loufoques et pathétiques - comme Sonia la russe ou Señor Galba le dresseur de chiens - soulagent un peu la souffrance, impriment un brin de drôlerie et apportent une touche de gaité par leur exubérance et leur loquacité.
La rencontre de Michel et de Lydia se déploie au gré de nombreux dialogues pleins de finesse, d'à-propos, d'un sens de la formule et de l'ironie douce, venant atténuer l'austérité du deuil, de la perte et de l'affliction.
Adapté au cinéma en 1979 par Costa-Gavras, sur un scénario de Milan Kundera, avec Romy Schneider et Yves Montand dans les rôles-titres, « Clair de femme » combine force et faiblesse, désespoir et détermination, instants poignants de détresse et moments de dérision.
Romain Gary, qui avait pris sa revanche face aux critiques assassines en obtenant un second Prix Goncourt avec le beau roman « La vie devant soi » écrit sous le pseudonyme d'Emile Ajar, offre avec « Clair de femme » un très bel hymne à l'amour, et particulièrement un hommage au couple, cette patrie où « un homme vit une femme et une femme vit un homme ».
De très belles phrases que l'on aimerait toutes citer, émaillent ce récit profondément tendre et émouvant, sensible et subtil.
Auteur de nombreux romans, « Les racines du ciel », « Charge d'âme », « Les cerfs-volants »…celui qui refusait de vieillir s'est suicidé le 2 décembre 1980 en se tirant une balle dans la bouche.

« Lorsqu'on a aimé une femme de tous ses yeux, de tous ses matins, de toutes les forêts, champs, sources et oiseaux, on sait qu'on ne l'a pas encore aimée assez et que le monde n'est qu'un commencement de tout ce qui vous reste à faire. »
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