Le rideau doit ensemble fermer la vue et l'ouvrir, faire chanter la grisaille non moins que la lumière. Le rideau est comme l'écriture : le voile qui dévoile, l'art du tamis. Aujourd'hui, il n'y a plus de voilages. De là que les fenêtres ne frissonnent plus, - ne vivent plus. Pourquoi le rideau est-il démodé ? Parce qu'on redoute l'intimité (elle est exigeante). Or, nous avons besoin pour notre équilibre d'un dedans et d'un dehors, d'une apparence et d'un secret. On peut mourir de n'avoir plus de vie secrète.
p.228
Scrutant l'océan
regard s'emmêle de pinceaux
quoi penser de quoi ?
De Falaise ou de Sicile, les Normands chassent les baleines grises ; les Bretons poursuivent la Baleine Blanche. Les pêcheurs de l'île de Sein, partis cent trente, revenus vingt-neuf, ce n'est pas à l'appel du Dix-huit juin qu'ils ont répondu, c'est à celui de Moby Dick ! Dans la tourmente de la guerre, ils ont confondu le général de Gaulle et le capitaine Achab.
p.127
J'aime les livres qu'on lit négligemment à l'ombre d'un pommier, qu'on sait quitter des yeux pour être attentif à un brin d'herbe, à une coccinelle, à la couleur du ciel, et qui vous dissuadent de vous concentrer parce qu'ils vous donnent envie d'embrasser le brin d'herbe, la coccinelle et le ciel. J'aime les livres qui sont une invitation à s'égarer pour aller plus loin.
p.157
Le livre est un chiffon de papier, le poète le chiffonnier du temps.
P.157
La vie est un archipel, et toute histoire est en pointillé.
P.130
À peine moins mallarméenne que son chapeau, était la langue d'Anna d'où je n'ai cessé de voir "neiger de blancs bouquets d'étoiles parfumées".
Issue d'un breton riche en tournures pour dire les sentiments ainsi que les choses de la nature, c'était un français hybride : mon aïeule émanait sa conversation de mots bretons pour asséner des idées fortes car le français ne "parlait" pas assez. Mots comme des friandises à travers lesquels c'est la vie que l'on suçait. Mots qui ajoutent à la vitalité de qui les profère et les entend. Quand des trois quarts de nos tourments, Anna avait lancé en haussant les épaules :
- Des 'rimadellerezh' !
Cela suffisait, chacun sentait qu'il était indigne de s'attarder. Mémée avait écaillé la rouille sur le rafiot de nos soucis, décrassé le pont, purifié l'air, et l'atmosphère avait une gueule respirable. C'était son "Lève-toi et marche !" On répétait après elle 'rimadellerezh', et le tracas était bien un "rime à rien".
p.66
Si la vie n'est pas plaisante, au moins était-elle, selon mon aïeule, une plaisanterie.
p.97
L'enjeu m'impressionnait tant que les plus futiles prétextes concouraient à l'ajournement du projet ; les alibis absorbent notre existence.
p.27
Du linge claquette
l'air se lèche les babines
entre deux pommiers
p.34