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Critique de asphodele85


LOTS OF LOVE – Francis et Frances Scott Fitzgerald
Publié le 04/01/2012

Je continue ma découverte de la vie et de l'oeuvre de cet auteur en sachant que les deux sont inséparables l'une de l'autre. La correspondance entre le père et la fille dans les dernières années, voire les derniers moments de sa vie m'a profondément émue…

Lots of Love était la formule par laquelle Scottie (surnom de sa fille) terminait la plupart de ses lettres : Des tonnes d'amour… entre 1936 et le 21 décembre 1940, jour où l'écrivain succombe à sa deuxième et fatale crise cardiaque. Et comme le dit elle-même Scottie en épilogue : “(…) Je savais bien que ses lettres étaient des chefs-d'oeuvre. J'aurais souhaité lui témoigner davantage mon estime, mais naturellement, je ne soupçonnais pas qu'il mourrait si tôt.”

Au début de cette correspondance Fitzgerald n'a que quarante ans mais il est au crépuscule de sa vie, tant dans sa carrière d'écrivain, il végète à Hollywood en écrivant des scénarios pour la Metro Goldwyn Mayer, mais aussi dans sa vie d'homme oublié et pauvre (tout est relatif, je vous donnerai quelques chiffres comparatifs à la fin de ce billet)*. Il n'a rien écrit de “fameux” depuis Gatsby en 1925 et se noie de plus en plus dans l'alcool malgré la présence de Sheila Graham (sa dernière compagne) à ses côtés qui lui maintient la tête hors de l'eau (enfin de l'eau…). le contraste entre le portrait public qui est fait de l'auteur sur ces années là et les lettres de pater familias parfois sévères qu'il envoie à sa fille est saisissant. Et terriblement touchant !

© Lettre tapuscrite de Scott à Scottie – 1938

En tant que père, Fitz ne rigolait pas (tout en gardant un sens de l'humour cynique et lucide). Il était très strict sur les études de sa fille, le gaspillage de l'argent qu'il lui envoyait toutes les semaines (parfois plus) et ses fréquentations “mondaines” en général. Contrairement à ce que j'ai lu jusqu'à présent, il apparaît ici comme un comptable redoutable, économisant sou à sou et surtout tenant un budget écrit et précis. Certes il a claqué beaucoup auparavant mais il n'a jamais perdu les pédales, il sait exactement où il en est et veut que sa fille ait le sens des réalités.

Il savait pertinemment que Scottie était la rescapée d'un double naufrage, celui de son couple et de sa vie, qu'elle était l'avenir et surtout l'héritière d'un nom : LE SIEN ! Il le lui fait remarquer plusieurs fois, alors qu'il estime qu'elle se comporte mal, qu'elle est trop fainéante et qu'elle dilapide l'argent qu'il lui envoie, l'argent qui ne rentre plus comme avant * ! “Je t'en prie, n'exagère en rien ! Et si tu dépasses la mesure, ne décline pas mon nom comme étant celui du père responsable ; ceci est une prière très instante et des plus sages. Mon nom et toi qui le portes font encore jaser certains milieux, et mon mot d'ordre du moment est, pour trop de raisons que je ne puis te dire : “Silence” Je t'en conjure, fais-moi cette grâce !”. Ou encore “Porter mon nom te rend encore plus voyante que tu ne l'imagines.”

Lui-même évite de citer, parfois, les personnes qu'il côtoie par leurs noms, mettant des X et des Y et lui intimant l'ordre d'en faire autant. Il va même jusqu'à corriger son journal, certaines de ses lettres quand elle parle de sa mère. Il y a des passages sur Zelda où il n'est question que de sa maladie, de l'état dans lequel elle a sombré et des visites que DOIT lui faire Scottie : à Asheville dans son hôpital psychiatrique ou à Montgomery, chez Minnie la mère désolée de Zelda, quand le médecin lui octroie de longues sorties. Mais Scottie, que ce soit avec son père ou sa mère, certainement pour se protéger applique la politique de l'autruche avec beaucoup de talent ! Essayer de vivre (survivre) une réalité à l'ombre de ses célèbres parents, ombre étouffante et glacée qu'ils ont projetée sur la sienne et dont elle doit sortir pour se démarquer. Elle sera une adolescente jolie, pas excessivement brillante, du moins tel que l'aurait voulu son père… Il voulait retrouver en elle les bons moments de son passé, y voir le miroir de ce qui avait contribué à ses succès et non la version terne de ses échecs.

L'argent, malgré des passages d'anthologie sur ce qu'est un “bon écrivain”, reste la priorité de ces lettres, la première et souvent la dernière chose dont ils parlent : “Parce qu'une lettre sans argent te paraîtrait sans doute à moitié vide” et sur l'écriture : ” Mon rêve a grandi et j'ai appris à le raconter et à me faire entendre. Alors mon rêve a bifurqué pour ainsi dire. ” Nul n'est jamais devenu écrivain en se bornant à le désirer. Si tu as quelque chose à dire que tu sens que personne n'a jamais dit avant toi, tu devras en être obsédée au point de trouver pour l'exprimer une manière, des mots que personne avant toi n'a trouvés, de sorte que ce que tu as à dire et ta façon de le dire forment un tout homogène, aussi indissoluble que s'ils avaient été conçus en même temps.” Mais cette correspondance recèle d'autres informations extrêmement précieuses sur l'époque, les films, les acteurs, les écrivains, les scénarios qu'il a écrit et qui, pour beaucoup n'ont jamais vu le jour, les lectures que le père veut faire lire péremptoirement à sa fille, le paraître, ce que laissait filtrer l'auteur de lui en cachant sa “récession”… Tout en distillant très peu d'informations sur son dernier roman qu'il avait commencé en 1940, le Dernier Nabab (The last Tycoon). On y apprend également que Fitzgerald était marxiste, vénérait la philosophie, la poésie et tentait de les inculquer à sa fille en orientant ses choix de lectures : ” Es-tu sûre de comprendre parfaitement tous les sens que des termes comme nominaliste et réaliste ont pris au cours des siècles ? Je veux que tu continues à t'intéresser à la philosophie, tout au moins jusqu'à Hegel, source de toute la pensée marxiste ; tu conviendras sûrement que le marxisme ne se mêle pas de vagues sophismes, mais s'intègre au système de la révolution matérialiste.” Ou en comparant les deux : ” La poésie c'est quelque chose qui te brûle au-dedans comme une flamme vivante ainsi que la musique pour le musicien ou le marxisme pour le communiste.” Malgré le ton autoritaire, voire cruel du père, les constatations sans concessions sur les capacités réelles de sa fille à réussir dans tel ou tel domaine, ces lettres sont pleines de tendresse maladroite et d'amour inconditionnel. Une mine d'or pour les amoureux de l'auteur !

QU'EST-ELLE DEVENUE ?© 1965 – Lors d'un dîner pour la presse.

Quand nous refermons ce livre sur la dernière lettre que le père ne lira jamais, on se pose évidemment cette question. Elle était jolie, mais pas trop, brillante, mais pas trop, bref elle a suivi le chemin finalement que son père lui avait conseillé : sans éclat mais loin d'être sans intérêt. Peu de réponses sur Google, si ce n'est qu'elle s'est mariée jeune, a eu quatre enfants, deux filles, deux garçons dont l'un s'est suicidé à 27 ans (il avait hérité de Zelda visiblement). Après une vie sociale faite de mondanités pendant environ vingt ans à Baltimore, elle va s'installer à Washington (à la fin des années 1960). Elle s'était essayée à l'écriture à Vassar (son université) et une de ses nouvelles avait été publiée dans le New-York Times, toujours sous l'oeil critique et impitoyable de son père… Elle écrit pour des journaux dont le Washington Post, devient un membre actif du Parti Démocrate et elle s'est battue pour les droits des femmes. Née le 26 octobre 1921, elle s'éteint en 1986 à 65 ans, après avoir lutté contre trois cancers et s'être remariée avec Mr Smith. Sa fille Eleanore, issue de son premier mariage avec Lanahan a écrit une biographie la concernant : ” Scottie, the daughter of : The life of Frances Scott Fitzgerald Lanahan Smith”.* SUR L'ARGENT : Je vous prépare un billet sur la chronologie de la vie et des oeuvres de l'auteur mais aussi un billet plus détaillé sur les gains d'argent de Scott Fitzgerald. Juste pour info, dans un article publié par l'American Scholar en 2009, il a été établi qu'un comparatif “direct” n'était pas tout à fait fiable ; juste pour info : Fitzgerald gagnait l'équivalent de 500 000 $ annuels au début de sa carrière et quand il est arrivé à Hollywood, bien que payé comme un écrivain “majeur”, il ne gagnait que 1100$ par semaine (Faulkner, à la même époque et pour le même travail ne gagnait que 300$ la semaine). Si on multiplie par 12, pour une équivalence approximative, je vous laisse deviner la “pauvreté” toute relative de la famille…Mais les “frais” étaient lourds…
Lien : http://leslecturesdasphodele..
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