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Critique de Nastasia-B


La critiques est aisée mais l'art est difficile, écrivait Polybe, contemporain des Gaulois, dans son livre d'Histoires. Voilà qui est on ne peut plus vrai. Qui suis-je, en effet, pour critiquer, me plaindre ou molester alors que je n'ai rien fait, rien produit, du haut de mon insignifiance, qui puisse prêter moindrement le flanc à la comparaison.

Voilà qui est on ne peut plus vrai et je souhaite que vous le conserviez à l'esprit tout du long de cet avis. Aussi, me bornerai-je à ne porter qu'un regard extérieur, en ma qualité de grande amatrice de Goscinny et de la série des Astérix* (*première époque et pour moi, seule époque). Vous noterez également mon éblouissante capacité de réaction, moi qui ne parle de cet album que presque deux ans après sa sortie, à l'heure où l'on nous en annonce un autre.

Avant tout, je tiens à saluer une critique de Babelio que je trouve lumineuse et qui est l'œuvre d'Eric75. Elle a le mérite, réellement à chaud quant à elle car écrite au moment de la sortie, d'avoir une clairvoyance et un aplomb que, dans l'enthousiasme de la sortie, beaucoup de commentateurs avaient, ce me semble, perdus. Je partage en tous points l'avis d'Éric et questionne encore un peu plus les mérites supposés ou avérés de cet album.

En ce qui me concerne, j'ai toujours considéré qu'Astérix était mort en 1977 avec la crise cardiaque fatale à René Goscinny. Le triste spectacle de déliquescence de la série orchestré par Albert Uderzo prouve, s'il était besoin, qu'on peut être un immense dessinateur et un fort mauvais scénariste.

Reprendre la série emblématique qui a baigné l'enfance de toutes les générations (en France et même un peu ailleurs) depuis plus de cinquante ans n'était pas chose aisée, j'en conviens, et, à plus forte raison lorsque vous avez papa Uderzo qui veille au grain par dessus votre épaule avec un œil inquisiteur.

La réussite est selon moi moyenne, entre médiocre et acceptable, ni à mettre au rang des catastrophes ni à celui des chefs-d'œuvre. Très loin en tout cas du meilleur de Goscinny, et même d'Uderzo. Ce dernier point est assez peu signalé et développé dans les autres critiques pour que je me sente autorisée à en toucher quelques mots, à savoir, l'aspect graphique.

On sait tous plus ou moins, de manière intuitive, que nous évoluons au fil du temps, et sur une période de vingt ou trente ans, cela devient une évidence. Il en est de même du style graphique des illustrateurs. Si l'on se cantonne, à titre d'exemples, aux seules séries scénarisées par Goscinny, on constate aisément que le trait de Sempé n'est plus le même de nos jours qu'à l'aube du Petit Nicolas. Entre l'Iznogoud du milieu des années 1960 et de la fin des années 1970, il y a un monde. Mais là où l'évolution stylistique est la plus palpable, je pense, c'est dans le dessin de Lucky Luke.

En effet, Morris s'est cherché pendant longtemps jusqu'à fixer son admirable cow-boy, sa monture et ses fameux quatre ennemis classés par taille. Si vous avez la curiosité d'aller regarder les Lucky Luke des tout premiers numéros, vous serez frappés de la métamorphose du trait. Finalement, le dessin de Lucky Luke monte peu à peu en puissance pour trouver son apogée dans le seconde moitié des années 1960, entre La Caravane et Le Pied-Tendre.

Ensuite, on assiste à une dégradation progressive du trait, qui devient presque un crayonné de lui-même. C'est donc, si l'on essaie de le regarder d'un point de vue mathématique une sorte de courbe en cloche (dite de Gauss) avec une montée, puis un tassement, un plateau et enfin, une descente (parfois aux enfers, cela dépend du dessinateur). On constate ce phénomène pour tous les dessinateurs qui conservent une série pendant assez longtemps, par exemple, c'est très remarquable pour F'murr.

Et évidemment, Albert Uderzo n'échappe pas à la règle. Dans les premiers albums d'Astérix, notre petit héros a une figure taillée à la serpe (même pas en or), Obélix se modifie à chaque image ou presque, etc. Le trait commence à prendre sa maturité vers le milieu des années 1960, dès Astérix Et Cléopâtre, mais de façon certaine avec Astérix Et Les Normands et Astérix Légionnaire. Puis, peu à peu, vers le milieu des années 1970, notamment à partir d'Obélix Et Compagnie, le trait change, Obélix grandit, les plumes du casque d'Astérix prennent des proportions démesurées, etc.

Or, Didier Conrad, en reprenant la série, la reprend non pas à l'âge d'or de son trait mais à un stade très avancé, qui correspond, disons, aux années 1990 d'Uderzo, époque où les personnages sont très " juvénilisés ", très " parc astérixisés ", très américanisés avec des sourires Colgate un peu trop Colgate. Je constate d'ailleurs que le dessinateur Achdé qui a repris Lucky Luke a commis la même erreur d'appréciation. Qu'en sera-t-il lorsqu'eux-mêmes, Conrad et Achdé, seront entrés dans leur période de dégradation stylistique ? Mystère.

Venons-en maintenant à ce qui frictionne le plus, à savoir, le texte de Jean-Yves Ferri. Évidemment, la tâche n'est absolument pas simple de croître dans l'ombre d'un mégalithe tel que René Goscinny et je ne le répèterai jamais assez. Je tiens à saluer la très bonne idée d'avoir transplanté la série chez les Pictes, ça c'est vraiment bien joué.

En revanche, pour m'être pas mal infusée du style Goscinny, je vois mal comment on aurait pu faire l'économie d'un clin d'œil à une personnalité écossaise. Or, si l'on excepte le lourd et très appuyé clin d'œil au monstre du Loch Ness, je n'ai pas perçu le moindre décalage comique en rapport avec l'Écosse.

Connaissant la prédilection de René Goscinny pour les citations de Shakespeare, j'imagine mal le génial scénariste louper le coche d'un clin d'œil à Macbeth, lequel coche est évidemment raté ici. De même, aucune mention d'un Sean Connery, d'une Marie Stuart, d'un James Watt ou d'un Walter Scott. Rien sur David Hume ou Alexander Fleming ; Adam Smith et Graham Bell aux abonnés absents, eux qui donnaient pourtant la possibilité de décalages anachroniques au potentiel comique appréciable.

Pourquoi caricaturer Mac Abbeh en Vincent Cassel ? Quel est le rapport avec l'Écosse ? Un Ewan McGregor eût peut-être été mieux à propos, mais enfin peu importe. Hormis les jeux de mots qui tournent tous autour du "Mac" quelque chose, les clins d'œil véritables à l'Écosse sont rares et, ça, ce n'est pas du tout dans les habitudes de Goscinny.

Lorsqu'il met en scène les Beatles dans les années 1960 dans l'album Astérix Chez Les Bretons, c'est complètement dans l'air du temps, et ça parle à la jeunesse d'alors. Lorsqu'il fait des clins d'œil à Tino Rossi dans Astérix En Corse, certes, ce n'est plus une personnalité très à la mode à ce moment-là, mais il parle encore à la jeunesse, ne serait-ce que par sa (trop) célèbre chanson Petit Papa Noël.

Or, ici, qu'est-ce que nous propose Jean-Yves Ferri ? un clin d'œil à Johnny Hallyday avec son titre Ma Gueule qui date de 1979, soit quelques trente-cinq ans plus tôt, et que plus aucun enfant ne connaît. Rapport Johnny Halliday/Écosse : néant. Ensuite, Il fait dire au héros écossais une phrase pseudo marrante « Be-bop-a-Lula, She's my Babe ». Ouh ! nom d'un chien ! si ça ce n'est pas un clin d'œil jeunesse, je ne m'y connais plus !

Du Gene Vincent de 1957, soit, plus vieux que le plus vieux des vieux Astérix ! Aucun rapport avec l'Écosse, juste un vague rapport avec le calembour du nom de la tribu des Pictes. Excusez-moi de vous le rappeler, Jean-Yves Ferri, mais l'idole des jeunes du début des années 1960 est devenu l'idole des vieux au milieu des années 2010, or, ce me semble, vous écrivez pour la jeunesse ! Et le grandissime calembour avec la 4L n'est pas non plus destiné, je pense, à la génération qui vient d'éclore. (Mais qui parle encore de 4L ! Là, franchement, il faudrait remettre un petit coup de super car l'ordinaire, même la 4L ça la fait toussoter, surtout les mois d'hiver !)

Eh oui, pas de doute, on est loin de l'ère Goscinny. Car c'est ça qu'il manque à cet album, il n'y a aucun décalage comique avec la destination cible qu'on se propose de découvrir. Les clichés populaires sur l'Écossais près de ses sous, sur l'ultra-patriotisme, sur le patois incompréhensible ou sur la mal-bouffe sont complètement ignorés alors qu'ils étaient, eux aussi, un vivier possible de décalages comiques intéressants.

Bref, je ne vais pas épiloguer plus longuement sachant qu'I don't want to depict you the story of the Picts, mais il me semble que pour une bande dessinée, soi-disant, destinée à la jeunesse, on est très loin du compte. Je ne vois que des " vieux " s'extasier dessus. Serait-ce un album vieillesse ? Il y a peut-être un marché et une niche à saisir, qui sait ? La radio Nostalgie a fait des émules en BD…

Bref, un album qui fait très " imitation " (je ne veux pas dire contrefaçon puisqu'il est estampillé et qu'il est officiel) un peu comme si vous aviez chez vous un tableau dont vous seriez très fier car d'époque, un authentique tableau d'un élève de Rembrandt. Le hic, c'est qu'un authentique tableau, même le meilleur tableau d'un élève de Rembrandt ne vaudra jamais un Rembrandt, fut-il le pire des Rembrandt, en tout cas, je le crois…

J'en conserve seulement quelques calembours acceptables, comme le Picte d'eau jaune ou le fondu enchaîné, mais en Picte qui se respecte, je ne sais pas vraiment si cela en vaut la monnaie. Ceci dit, ce n'est là qu'un avis picte rural, c'est-à-dire, pas grand-chose et si vous voulez un bon Astérix, allez voir du côté de Goscinny dans la seconde moitié des années 1960, là ce sera un vrai bon...

P. S. : il existe pourtant un auteur jeunesse actuel qui me semble du calibre de Goscinny et cet OVNI, ce talentueux, ce trop rare se nomme Christian Jolibois et on lui doit la série des Petites Poules avec l'illustrateur Christian Heinrich.
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